Adapter ou traduire ?
Millaray Lobos García : « Au début, en 2018, le projet s’est arrimé à l’étude du texte de Joël Pommerat La Réunification des deux Corées. Puis de résidences en lectures publiques, de laboratoires en workshops entre le Chili et la France, l’intention a évolué. Il était question initialement de tisser des liens entre les territoires et les langues, de rapprocher des interprètes venus de tous horizons via l’Académie Nomade*, de partager une intersubjectivité, une manière commune de se traduire soi, pour les autres et aussi à travers les autres : comment communiquer quand on veut traduire nos émotions et nos désirs ? La pièce de Pommerat parle de l’intime et j’ai eu envie de mettre ça en lien avec mes autres spéculations sur l’humain, surtout la question de l’amour et des ruptures. La pièce est donc devenue davantage une matrice pour approfondir ces questions et d’autres textes s’y sont ajoutés. Dans la confrontation des points de vue, chacun a pu faire l’expérience des clichés, des représentations qu’il se faisait des autres, pour aboutir au constat que les autres nous transforment et nous révèlent à nous-mêmes. »
Guillaume Séverac-Schmitz : « Sur la question de l’adaptation, Molière ne s’aborde évidemment pas de la même manière qu’une écriture contemporaine, même si Le Tartuffe pour moi est une œuvre très moderne d’une puissance dramatique remarquable. J’ai eu la chance de me former au Conservatoire National de Paris où les auteurs classiques sont au cœur de l’apprentissage du métier. Ce chef d’œuvre qu’est Le Tartuffe, où se succèdent des scènes d’anthologie, est l’une des comédies les plus jouées et les plus aimées de Molière. Le texte, les répliques sont aujourd’hui familières à beaucoup de gens, comme s’ils faisaient partie de l’inconscient collectif. Ce qui ne nous a pas empêchés d’y faire des coupes, de l’adapter et de travailler sur l’alexandrin pour rendre le sous-texte plus concret pour des jeunes acteur.rice.s d’aujourd’hui. Molière permet encore cette créativité. Et je souhaitais vraiment construire autour de ce projet une véritable troupe. »
Construire le collectif
Guillaume Séverac-Schmitz : « Quand j’ai décidé de travailler avec les jeunes comédien.ne.s de l’AtelierCité, je l’ai tout de suite pensé pour toute une équipe et j’ai souhaité que l’on s’installe dans l’idée d’un collectif et d’une grande aventure qui créerait les conditions propices à ce que nous avons rebaptisé la Troupe éphémère. Le texte s’y prête car il propose un grand nombre de rôles, un terrain d’égalité où chacun.e peut s’exprimer pleinement et déployer sa créativité. Pour moi l’idée était aussi d’inscrire cette histoire de famille dans le fonctionnement même de la troupe, de bâtir un esprit de compagnie et une vraie solidarité. La Troupe éphémère est donc une troupe à résidence au ThéâtredelaCité, dont les membres ne sont pas des débutant.e.s mais constituent une troupe émergente où de jeunes artistes se professionnalisent et sont appelé.e.s à travailler dans la durée sur des projets qui tournent. »
Millaray Lobos García : « Le travail de départ sur la pièce sous formes de différents moments « laboratoires » au Chili ou en France a rapidement créé un espace commun de réflexion. Nous sommes tou.te.s traducteur.rice.s de notre monde intérieur et interprètes du monde extérieur, mais c’est à la frontière entre ce dedans et ce dehors, entre notre identité propre et notre appartenance à un réseau qui nous lie aux autres, que se construisent nos tentatives relationnelles.
Le collectif s’est donc construit quand j’ai commencé à écouter ce que les acteur.rice.s proposaient et les différentes solutions qu’ils amenaient par rapport à ce que j’avais imaginé au départ à l’écrit. J’ai découvert que le passage à la scène me permettait d’explorer de nouvelles pistes. Se sont invitées d’autres voix, celles personnelles des comédien.ne.s et d’autres nées de la mise en dialogue avec d’autres inspirations et de nouveaux textes qui entraient en résonance avec mon projet initial. »
(Se) faire confiance
Millaray Lobos García : « Il y a quelque chose d’organique dans le fait d’être actrice, puis metteure en scène, puis prof de théâtre (ce qui a été mon parcours), quelque chose qui naît de la volonté d’organiser le réel tout en laissant s’exprimer un principe d’harmonie circulatoire. Je ne me suis pas posée la question de la jeunesse de mes interprètes, ce qui m’intéresse ce sont les types d’interactions qui surgissent entre des personnes d’horizons très variés et comment, en mettant ensemble toutes nos différences, nos préjugés, on est finalement surpris par tout ce qu’on a en commun. Dans « jeune génération », il y a l’idée qu’on peut générer effectivement, faire surgir de nos bricolages au plateau, de nos tentatives, des réalités qui sont le fruit de ce que chacun.e transporte avec lui, de ce qu’on hérite, des choses qu’on a lues, entendues. Et la confiance est là, très largement, dans les potentiels qui sont déjà là en chacun.e. »
Guillaume Séverac-Schmitz : « Travailler avec des jeunes interprètes, c’est se poser la question de comment on s’adapte à eux.elles, comment on s’engage avec eux.elles dans la formation. Être comédien.ne.s, c’est un métier où l’on ne peut pas facilement maintenir la dissociation entre ce que l’on est et le métier. Il y a beaucoup de fragilité. Être un.e jeune comédien.ne, c’est aller vers soi-même et c’est très important de se placer aussi du point de vue de ce qu’on a à apprendre d’eux.elles. Je travaille beaucoup avec des jeunes lors de masterclass ou d’ateliers. Il faut faire le pari de la progression et les accompagner dans leur apprentissage en proposant des contenus sans cesse renouvelés et des pratiques individualisées. C’est aussi se nourrir de leurs envies, de leur force de proposition, de leur énergie et leur vitalité. »
* Dispositif, initié par Millaray Lobos García, de recherche théâtrale entre la France et le Chili
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