Le Monde d’après ?ThéâtredelaCité

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Dossiers et reportages

Le Monde d’après ?

Rêver l’action artistique et culturelle de demain

Résidence Eudaimonia © le petit cowboy

Au lendemain du questionnaire du sociologue Bruno Latour pour penser le monde post-confinement et à la veille de l’appel à une convention citoyenne pour la culture, adressé à Madame la Ministre, des artistes se sont vu.e.s donner carte blanche par le ThéâtredelaCité pour interroger le rapport à l’Autre que, notamment, les règles de distanciation physique ont bouleversé. Laboratoires de recherche et d’écriture, ces résidences (soumises à candidature) avaient pour objectif de « réfléchir à l’évolution des pratiques dans le domaine de l’action artistique et culturelle, de rêver les nouvelles manières de proposer et de faire, sans obligation de mise en œuvre dans les mois à venir ». Le ThéâtredelaCité incarnait alors, plus que jamais, un espace hétérotopique par excellence, un « autre lieu » à la fois au cœur de la cité et à sa marge, offrant aux huit compagnies ou collectifs régional.e.s résident.e.s la possibilité de produire de la pensée, façonner de l’imaginaire, sans exigence de résultat ce qui fut vécu comme une parenthèse enchantée par les artistes.

Façonner de l’imaginaire, sans exigence de résultat

Pendant une à deux semaines, les équipes constituées autour de Collectif French Vaudou, Groenland Paradise, Eudaimonia, Le Cri Dévot, MégaSuperThéâtre / Forêt Électrique, Cie de l’Inutile, Cie Libre Cours et Les Petites Gens (par ordre chronologique de résidence) se sont saisies de ce temps suspendu pour explorer les mondes des possibles à partir de l’existant et ont ainsi interrogé leurs pratiques afin de cerner les points d’achoppements, les zones de frustrations, mais aussi les sources de satisfaction, les moteurs du désir.

Le besoin d’organiser les retrouvailles devint impérieux.

En dépit de la singularité de chaque groupe et de la diversité des modalités exploratoires adoptées par chacun d’eux, beaucoup des sujets abordés et des questions soulevées se recoupèrent. Ces préoccupations communes s’articulèrent autour des notions de déconstruction et de rencontre, deux idées fortes entrecroisées car il s’agissait de déconstruire les habitus pour faciliter la rencontre. Après avoir été confiné.e.s et séparé.e.s pendant de longs mois, le besoin d’organiser les retrouvailles devint impérieux. Ces retrouvailles fantasmées furent placées sous le signe de l’ouverture avec pour objectif de diversifier à la fois les collaborations et les publics. L’action artistique et culturelle a alors été pensée comme une création à part entière et pour beaucoup d’artistes, l’envie de décloisonner ce que les logiques de financement et de programmation abordent comme deux activités distinctes se faisait pressante.

Résidence Eudaimonia © le petit cowboy

L’horizontalité devenait alors structurante car il s’agissait, d’une part, de mélanger les disciplines artistiques sans notion de hiérarchie entre elles et, d’autre part, de considérer le.la spectateur.rice comme un.e artiste en puissance. La réflexion autour des catégorisations disciplinaires aborda les questions de déterritorialisation, détournement et désacralisation ; à l’occasion des échanges autour de la place du spectateur.rice, les résident.e.s revinrent beaucoup sur les notions d’expérience partagée, de théâtre participatif et interrogèrent l’opposition entre professionnel.le.s et amateur.rice.s.

Considérer le.la spectateur.rice comme un.e artiste en puissance

Il est intéressant de souligner que l’ombre de Gilles Deleuze semblait planer au-dessus des artistes qui, directement ou indirectement, se sont souvent référé.e.s au philosophe pour appeler à cette déconstruction des pratiques d’hier afin de reconstruire les théâtres de demain. Le choix de cette référence à l’un des plus grands penseurs de la post-modernité est significatif car il rend compte de la nécessité, pour les résident.e.s, de repenser le langage propre aux pratiques artistiques afin de panser les maux que la crise, si elle ne les a pas mis à jour, a du moins rendu encore plus visibles. Ce langage rêvé, ce nouveau système pour appréhender l’art, place l’individu.e au centre. Face à l’épreuve du confinement, la technologie prit une place grandissante pour médiatiser les rencontres avec d’autres artistes (pour continuer à créer) mais aussi avec le public (pour proposer des spectacles alors retransmis ou inédits en ligne). Si cette médiation technologique fut importante pour maintenir le lien, elle mit en exergue la nécessité de mettre, plus que jamais, l’humain en avant. Ainsi, plutôt qu’un anti- ou post-humanisme, l’action artistique et culturelle de l’avenir serait-elle alors un humanisme augmenté fantasmant l’Homme en créateur pandisciplinaire ?