Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil jettent l’ancre à Toulouse. Pendant un mois, ils investissent entièrement le ThéâtredelaCité pour faire vivre au public une expérience hors du commun. Ariane Mnouchkine et les 35 interprètes de L’Île d’Or nous embarquent pour un voyage inoubliable. Un hall transformé en une immense cantine japonaise emporte les spectatrices et spectateurs, dès leur arrivée au théâtre, vers une odyssée onirique, jusqu’aux confins du Japon : L’Île d’Or .
« Le Théâtre du Soleil est un navire, comme l’a dit Ariane Mnouchkine dans le discours qu’elle a prononcé à l’occasion de la remise du prestigieux Prix Kyoto – Arts et Philosophie dont elle était la lauréate. Cela s’est passé en juin 2019, dans ce Japon où pour elle tout a commencé en 1963, lors du voyage fondateur en Asie qu’elle a effectué juste avant de créer le Soleil, en 1964. Depuis, le Soleil voyage sur les mers du théâtre et du temps, animé par l’expérience d’une utopie chaque jour remise en chantier, porté par l’impérieux désir de s’adresser à tous, ancré dans les turbulences et les espoirs du monde, dont témoignent cinquante-cinq ans de spectacles, et de la vie qui toujours guide le navire vers de nouveaux horizons. […] Comme toujours, elle est là, magnifique, à l’entrée où elle prend les billets et souhaite la bienvenue aux spectateurs.
Le quotidien s’éloigne et le théâtre se glisse ainsi dans les corps et les esprits, avant d’entrer dans la salle où nous attend L’Île d’Or. »
Brigitte Salino, Le Monde
« Depuis 1970, à la Cartoucherie de Vincennes, Ariane Mnouchkine révèle grâce au théâtre l’ange et le démon qui sommeillent en nous. Qu’elle monte Eschyle, Shakespeare, Molière, qu’elle s’inspire du réel, la directrice du Théâtre du Soleil explore la limite entre le bien et le mal. »
Joëlle Gayot, Télérama
« Les spectacles d’Ariane Mnouchkine sont voyage. Dans l’histoire, l’humanité, la solidarité, l’ailleurs, la beauté. Dans l’art infini du théâtre, rendu magiquement présent. À la vie, au monde. Depuis bientôt soixante ans, le Théâtre du Soleil est ainsi devenu lui-même cette île d’utopie – une île d’or, telle celle du dernier spectacle – où l’on aime à venir s’émerveiller, reprendre courage et énergie dans un lieu qui se métamorphose aux couleurs de la représentation en cours, un lieu où l’on peut manger et boire ensemble. Aujourd’hui, le gigantesque foyer s’est paré de lampions japonais sur lesquels Ariane Mnouchkine a fait inscrire le nom de tous ceux qui l’ont aidée sur cette île qui lui est si chère, et elle a fait redessiner sur les murs des lions géants du peintre Hokusai. C’est magni-fique. À 82 ans, la cheffe de la troupe aux mille langues et aux mille visages, la troupe la plus « diverse » du monde, sait toujours enchanter les spectateurs qui pénètrent son antre théâtral, aux sons ininterrompus et lancinants – dès que commence le spectacle – de la musique de Jean-Jacques Lemêtre… L’Île d’Or ne manquera pas au chapelet des créations qui depuis plus d’un demi-siècle bouleversent et chavirent l’âme au gré d’épopées tragiques et folles. »
Fabienne Pascaud, Télérama
Le hasard, mais il n’y a pas de hasard, fait que je vous adresse mon salut de Sadogashima. Une grande île de l’ouest, une splendeur jetée par les dieux dans la mer du Japon. Et, au cours des siècles, lieu d’exil d’empereurs, d’artistes, lettrés et moines contestataires. Celui de ces exilés qui nous touche le plus aujourd’hui et dont vous contemplez un des théâtres, est Kanze Motokiyo, que nous connaissons mieux sous le nom de Zeami, le père du théâtre Nô, son grand et unique grammairien, mais surtout son poète et acteur. Quatre-vingt-dix pièces. L’égal d’Eschyle. Un père, une mère, pour les petites gens de théâtre que nous sommes.
Zeami resta plus de dix ans à Sado. Il s’y plu, semble-t-il, puisqu’il la baptisa l’île d’or, deux cents ans avant que de l’or n’y soit effectivement découvert, faisant la richesse puis, comme toujours l’or, le malheur du peuple de Sadogashima.
Pendant ces dix années, Zeami sema le Nô comme les paysans le riz, mais celui qui le repiqua, le replanta, deux siècles plus tard — et c’est comme une fable — fut le gouverneur de la fameuse mine d’or. À cette terrible charge, le shogun d’alors, avait désigné, on ne sait pourquoi, un acteur, Okubo Nagayasu, qui, une fois en poste, et se mourant probablement d’ennui, ne se contenta pas d’exploiter la mine et ses travailleurs, mais fit venir du continent tous ses anciens collègues qui prirent racine dans l’île et y développèrent leur art comme nulle part ailleurs, au point que le peuple y prit goût et se mit à le pratiquer à sa manière. Il reste aujourd’hui trente-quatre scènes de Nô à Sado et six troupes en activité. Il a fallu pour cela le malheur et le courage d’un génie exilé et celui d’un pauvre acteur devenu exploiteur d’or, donc d’hommes. Quand je vous disais que c’était une fable. (2)
Se demander : « Pourquoi le Japon ? », c’est comme se demander « Pourquoi le Théâtre ? ».
[…] Aujourd’hui comme autrefois, tout le Japon est un théâtre, intense espace où nos existences quotidiennes, domestiques comme géopolitiques sont en transposition, rehaussées, du plus petit signe jusqu’aux motifs les plus chargés de conséquences, en transfigures illuminantes. Tout ici évoque, prédit, interroge, tout incite à penser et à déchiffrer.
Un jour, une jeune femme est entrée au Théâtre par le Japon, par la source et la racine de cet Art de tous les Arts.
Sous l’apparence du Hasard agit le Destin. Ce sont ces forces de magie, qui mènent les êtres par la mort à la vie, qui auront mené, comme dans un récit mythique, la jeune femme tout droit aux sources pour une initiation.
L’esprit du Théâtre ne peut pas ne pas aller et revenir au point de départ de nos angoisses et de nos émerveillements. Il est né et destiné au Japon.
Théâtre, là où on se regarde les uns les autres ne pas se voir, lieu fascinant où tout le monde est tantôt aveugle tantôt voyant. Japon Théâtre, où tout, événement et personnages, nous est offert à regarder mais pas à voir, à susciter l’insatiable curiosité.
Et qu’est-ce qui nous est donné à regarder ?
Le monde entier, dit Shakespeare, l’homme aux mille âmes.
Le Théâtre du Soleil était destiné, depuis ses premiers pas, à aller regarder / étudier l’humanité, le peuple du monde, depuis cet observatoire sublime qu’est le Japon. Prenons une grande île, détachons un éclat de cet univers détaché, soit une petite île.
Il y a là tout ce qu’il faut à la Grande Cérémonie : Sado, une petite île, scène des exils, des bannissements et relégations, expulsions, pertes du paradis, enfer bientôt renversé en son contraire, et alors scène des sublimations, mines d’un or qui dit aussi l’or du coeur. Une île élue, vouée à la solitude cruelle et qui voit naître des dizaines de théâtres de la résurrection, Sado, modeste toit pour l’immense Zeami. Imaginons Dante, sur un refuge de pêcheurs.
Alors, à l’appel visionnaire du Poète, dans ce parlement mondial aux dimensions de son imagination, se pressent tous les personnages des Univers politiques, trônes, républiques, dictatures, agricultures, comme dans l’Arche de l’Histoire. (1)
(1) Notes d’Hélène Cixous, autrice pour le Théâtre du Soleil depuis 1985.
(2) Ariane Mnouchkine, à Sadogashima, extrait du Discours du Goethe Preis, 20 août 2017