ENTRETIEN AVEC LAURENT GAUDÉ, AUTEUR
Menant un travail d’écriture dramaturgique depuis la fin des années 1990, vous comptez une vingtaine de pièces à votre actif. Même si le monde meurt marque votre première collaboration artistique avec Laëtitia Guédon. Comment s’est-elle amorcée ?
Laurent Gaudé : Nous avons lié connaissance en novembre 2019 à Paris, aux Plateaux Sauvages (salle de spectacle dans le 20ème arrondissement, dirigée par Laëtitia Guédon, NDR), via une soirée – dans le cadre du cycle La Grande personne – dont j’étais l’invité principal. À l’époque, je n’avais vu aucune des pièces de Laëtitia. Plus tard, en juillet 2021, j’ai pu découvrir Penthésilé∙es – Amazonomachie (une réappropriation très originale du mythe de Penthésilée, basée sur des textes de Marie Dilasser et mise en scène par Laëtitia Guédon, NDR) au Festival d’Avignon. La pièce m’avait beaucoup plu, en particulier par la manière dont elle abordait l’épopée. Le rapport à l’épopée, au souffle – assez rare dans la scène théâtrale contemporaine – constitue un axe important de mon écriture. Laëtitia et moi explorons des territoires proches. Suite à ces premières rencontres, nous avons lancé l’idée de travailler ensemble et, peu de temps après, Laëtitia m’a passé commande d’un texte.
Le récit prend la forme d’une dystopie qui confronte quatre jeunes hommes et quatre jeunes femmes à l’imminence de la fin du monde. Qu’est-ce qui vous a amené vers ce sujet ?
L’idée d’une pièce autour d’une possible fin du monde me trottait dans la tête depuis plusieurs années. J’en ai parlé avec Laëtitia, bien sûr, avant de me lancer dans l’écriture et cette idée lui a plu. La pandémie de covid-19 a rendu crucial le questionnement sur l’avenir de l’espèce humaine et celui de la planète, le dérèglement climatique ajoutant encore à la gravité de la situation actuelle… Demain est devenu vecteur d’angoisse. Je n’ai pas du tout écrit pendant les confinements, mais je pense que Même si le monde meurt et La Dernière nuit du monde (pièce légèrement antérieure, publiée en 2021, NDR) portent trace de ce que j’ai traversé intérieurement durant cette période.
La pièce est créée pour et avec la troupe éphémère de l’AtelierCité, composée de jeunes comédien∙ne∙s professionnel∙le∙s à l’aube de leurs carrières. Que représente cet aspect du projet à vos yeux ?
Appréhender l’hypothèse de la fin du monde par le prisme de la jeunesse m’a semblé d’emblée très motivant. Je m’attache ici à décrire ce qu’une telle perspective provoque, individuellement et collectivement, chez un petit groupe de jeunes hommes et femmes. De toute évidence, cela va avoir un impact différent si on a 20 ans ou 70 ans… Au tout début du processus d’écriture, avant les répétitions, j’ai beaucoup parlé avec les huit interprètes afin de recueillir leurs sentiments et réflexions sur le sujet. Leurs témoignages ont infusé dans le texte. Je trouve toujours à la fois touchant et stimulant de travailler avec de jeunes acteurs et actrices, de percevoir leurs désirs et leurs rêves. Ils et elles ont les yeux qui brillent en parlant de théâtre. Cela génère une grande dynamique, très communicative. Des expériences comme celle-ci me procurent beaucoup d’énergie et réactivent mon propre désir de théâtre.