E N T R E T I E N A V E C
J O S Y A I C H A R D I,
C A P I TA I N E D E S M A J O R ’ S .
Pouvez-vous nous présenter le club de majorettes des Major’s Girls, dont vous êtes la présidente et la capitaine.
Ma mère, Suzette Jacques, a fondé ce groupe en 1964 à Montpellier pour animer une fête des jeunesses laïques. Ses 48 filles en bottes et chapeau haut ont fait un tabac, ce qui l’a poussée à continuer. À 15 ans, j’étais déjà de l’aventure qui se poursuit aujourd’hui depuis soixante ans. Les Major’s Girls n’ont pas d’équivalent : la moyenne d’âge des participantes y dépasse les 50 ans, de 40 à plus de 70 ans. Les jeunes femmes d’aujourd’hui ne sont pas attirées par une pratique que beaucoup de monde considère comme ringarde, voire de mauvais goût. Pour notre part, nous misons sur l’exigence, la rigueur et la qualité de nos présentations, ainsi que sur l’éclat des costumes et des accessoires, dans lesquels nous investissons tous nos gains, puisque notre groupe est à cent pour cent amateur.
Au-delà de leur âge, inhabituel, les Major’s Girls ont-elles un style propre ?
Nos chorégraphies privilégient la rapidité d’exécution et la complexité, ce qui les rend très difficiles. Nous travaillons l’art du bâton, le twirl, avec les meilleurs professeurs, souvent américains, et nous nous entraînons deux fois par semaine avec assiduité. Nos prestations doivent être impeccables, réalisées au millimètre. Durant les défilés, j’aime quand les Major’s Girls répondent à mes demandes dans la seconde et avec précision. Seule une longue pratique en commun peut nous apporter cette symbiose et cet unisson.
Comment avez-vous travaillé avec le chorégraphe Mickaël Phelippeau ? Nous ne nous voyons pas comme des danseuses et encore moins des danseuses contemporaines. Mickaël Phelippeau, lui, aime les défilés de majorettes, mais il ne les connaît pas de l’intérieur. Il m’a fait confiance et m’a confirmée dans mon rôle de capitaine du groupe, tout en nous amenant, avec beaucoup de souplesse et de doigté, vers ce qu’il avait en tête. Chacun a fait un pas vers l’autre et un lien réciproque d’amitié et de respect s’est tissé dans le travail.
Comment vivez-vous d’être programmées dans des festivals et des théâtres, parmi les plus prestigieux de France ?
Comme une petite revanche ! Il faut le dire : le milieu culturel, dans son ensemble, n’a pas beaucoup de considération pour nous et notre passion. Faire découvrir que notre groupe rassemble toutes sortes de profils professionnels (pharmacienne, secrétaire médicale, sportive de haut niveau…), permet de changer la perception du public. Nous avons l’habitude des grandes salles : les Major’s Girls se sont produites dans un stade aux USA devant 40 000 spectateurs et spectatrices, à Wembley au Royaume-Uni devant 70 000 personnes et plusieurs années de suite, nous avons animé le festival mondial du cirque. Nous avons défilé en Israël, en Italie, en Allemagne, participé plusieurs fois à des émissions de télévision et deux films ont été tournés sur nous.
Diriez-vous qu’être majorette, c’est être féministe ?
Cela ne fait aucun doute. Pour ma mère comme pour nous toutes, défiler en majorette c’est affirmer une liberté, une indépendance d’esprit, combattre des préjugés. Quand nous nous sommes produites en 1966, à Barcelone, l’Espagne franquiste de l’époque n’avait jamais vu des filles en mini-jupes lever les jambes en public comme nous le faisions ! Il nous suffit d’enfiler notre costume, de saisir notre bâton, et nous devenons autres. Nous avons alors toutes les audaces.
MAJORETTES SELON SON CHORÉGRAPHE,
MICKAËL PHELIPPEAU
Je me souviens avec nostalgie des défilés de majorettes dans mon village du pays nantais, ils ont marqué mon enfance et mon imaginaire. La pièce est née quand j’ai connu les Major’s Girls, un groupe de femmes exceptionnel, unique en son genre. Je désirais mettre en valeur leur activité car, bien que d’une grande technicité, elle est souvent dédaignée. Le corps de ces femmes d’un certain âge, en costume court et ajusté, porte toute une histoire avant même qu’elles ouvrent la bouche sur le plateau. Entre danses de groupe et prises de paroles individuelles, sur huit versions différentes de Fade To Grey du groupe Visage, je vois le temps qui passe transparaître dans leurs évolutions d’une incroyable vitalité.