Ces histoires qui nous racontent : le Vietnam « éphémère et insubmersible*» d’Océane MozasThéâtredelaCité

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Ces histoires qui nous racontent : le Vietnam « éphémère et insubmersible*» d’Océane Mozas

Entretien avec Océane Mozas

C’est en découvrant le texte de l’autrice Marine Bachelot Nguyen, que la comédienne Océane Mozas se rend compte qu’il fait tellement écho à son histoire familiale qu’il serait impensable pour elle de ne pas s’en emparer. En habituée des écritures contemporaines et en fidèle du ThéâtredelaCité, qui accompagne et produit le spectacle, elle porte à la scène un récit sensible qu’elle a longuement poli, pétri, avec beaucoup de douceur et de respect en entremêlant la petite histoire et la Grande, la sienne et celle des autres. Le tout est devenu un seule en scène intimiste et universel que l’on est invité à découvrir dans l’écrin du Studio. Deux sœurs ressemble à ces boîtes qu’on ouvre parfois dans un grenier : en sortent des fragments du passé, parfois des clés pour comprendre un chemin de vie et des pistes où remettre ses pas à l’avenir. Conversation avec sa conceptrice et comédienne, de retour d’un voyage au Vietnam.

L’origine du projet : entre échos intimes et rencontre fortuite
Comment est né ce projet et en quoi a-t-il, dès le départ, pris ancrage dans votre histoire ?

C’est un hasard, mais comme tous les hasards de la vie, il fait coïncider deux moments. Celui où je décide d’interviewer ma grand-mère – parce que je sens qu’elle vieillit et que je suis moi-même dans un besoin de réponses, dans l’exploration de zones d’ombres du passé familial et dans une sorte de quête des origines – et celui où une amie me fait découvrir le texte de Marine Bachelot Nguyen pour lequel j’ai un vrai coup de foudre. En effet, à la lecture je suis percutée par la similitude de nos histoires : nos grands-mères avaient chacune une sœur, qui est restée au Vietnam. C’est le point de départ. Donc je monte ce texte bien sûr parce que j’y trouve des correspondances intimes, et aussi parce que la langue en est très dense, très ciselée. Je suis vraiment sensible aux écritures, qu’elles soient classiques ou actuelles, et là, c’est la première phrase du texte qui a été le déclencheur. Elle dit « Dans chaque histoire, dans chaque légende, il y a des trous, des flous ». À ce moment-là de ma vie, j’avais réussi à convaincre ma grand-mère d’évoquer son passé, j’avais des heures d’enregistrements avec elle, avant qu’elle ne disparaisse, et j’entamais une recherche que (je l’ai découvert ensuite, sur les réseaux sociaux notamment) beaucoup d’asio-descendant·e·s mènent aujourd’hui. On n’a pas forcément grandi dans la culture asiatique, voire pas du tout, et pourtant il y a quelque chose de très fort qui se réveille dans cette génération. C’est une immigration qui a été invisibilisée et qui s’est également invisibilisée elle-même : sur ces questions, le spectacle n’explore pas forcément tout le versant militant du texte de Marine, mais c’est en arrière-plan et c’est à prendre en compte.

Le travail d’adaptation : tisser le texte support avec les envies personnelles
Justement, comment vous êtes-vous emparée du texte de base et quelles intentions ont guidé votre adaptation ?

En fait, il me semble que ce que nous faisons, elle et moi, c’est de nous adresser aux absent·e·s. À celles et ceux qui ne sont plus là pour nous donner les informations. C’est la disparition récente de nos grands-mères qui a déclenché chez Marine une écriture et ensuite chez moi l’envie de porter son texte. C’est une adresse que l’on fait à ces gens qui ne sont plus là et c’est l’envie que nous avons, de cultiver cette mémoire. Mais là où elle est dans une démarche de lutte, plus directement politique, je souhaite m’en tenir moi à une réponse poétique. Mon adaptation propose donc, dans le respect absolu du texte de l’autrice, une re-lecture sensible très axée sur la résilience de ces femmes, leur force et leur résistance (je l’ai encore vérifié lors de ce dernier voyage au Vietnam dont je rentre riche d’impressions collectées, de rencontres). Son texte est court, dense, parfaitement ciselé. Je m’y glisse pour l’incarner au mieux, de manière impressionniste, en y apportant des rajouts d’anecdotes intimes, de moments où je parle directement à ma grand-mère et aussi où je tente de donner la parole, en creux, à ces femmes. Là-bas j’ai vécu une complicité, une familiarité immédiate avec elles, comme si je les attirais, comme si je m’y reconnaissais. J’ai ressenti profondément la force vitale de ces femmes, qui sont des héroïnes du quotidien. Comme les héroïnes épiques, divinisées, que sont les Sœurs Trung de la légende. Sans être manifestement activiste, il y a évidemment une dimension féministe dans mon spectacle.

La forme à partager : une petite heure en solo, entre le récit intime et la grande épopée
Comment qualifieriez-vous le voyage auquel vous convier les spectateur·rice·s ?

Je crois qu’au départ je n’avais pas forcément envie de jouer ce texte seule, puis finalement ça s’est imposé comme cela. Mon envie est vraiment d’entrer dans le partage avec le public par une double entrée, celle de l’autrice et celle de la comédienne, et de suivre le fil rouge immémorial du conte. C’est d’ailleurs la manière dont chemine le texte de Marine : de la légende des Sœurs Trung, divinisées au Vietnam pour avoir repoussé l’envahisseur chinois avec succès, elle bascule ensuite dans la modernité et dans l’histoire de sa famille, de sa grand-mère et de sa sœur qu’elle ne reverra jamais. J’ai évoqué la première phrase mais la dernière phrase de son texte contient en germe tout mon projet, en me permettant d’y glisser ma propre histoire : « elles ont des vies si différentes ». En effet, chez moi, ma grand-mère et sa sœur se sont revues, quarante ans plus tard. J’avais un rapport très proche avec cette grand-mère que la famille voyait comme un peu folklorique, un peu exotique et qui n’a jamais très bien parlé le français. J’ai ramené ses cendres au Vietnam, et j’appartiens à cette histoire-là. Par souci d’assimilation mon père a totalement oublié la langue de son enfance, et moi je cherche à l’apprendre, avec beaucoup de difficultés (rires). C’est à cette quête qui continue, pleine de joies (et de regrets aussi), que je convie le public.

*titre en référence au texte sur le Vietnam de Jean-Claude Pomonti cité par Océane

Après presque quarante ans de séparation, ma grand-mère, Vieng, était retournée au Vietnam retrouver sa sœur, Xinh. Elles avaient décidé d’aller ensemble dans le Nord visiter la fameuse Baie d’Halong. Archives personnelles © Océane Mozas
 
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