Des cadavres qui respirent
Représentations
Distribution
La création de Breathing corpses a eu lieu au Royal Court, Jerwood Theatre Upstairs, London le 24 février 2005.
La pièce Breathing corpses de Laura Wade est représentée dans les pays de langue française par l’agence DRAMA-Suzanne Sarquier (www.dramaparis.com) en accord avec Knight Hall Agency Ltd à Londres.
Informations
Le CUB
Durée 1h10
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Résumé
Une comédie à l’humour anglais
Construite comme un puzzle géant, où chaque découvreur de cadavre devient lui-même un cadavre, cette pièce à l’humour noir nous livre cinq scènes, cinq tranches de vie où humour, ennui et ironie se côtoient, mettant à jour les petites et grandes souffrances ordinaires. La mort, omniprésente, ne montre jamais le même visage. Elle est tour à tour grotesque, pitoyable ou cruelle… Et l’auteure s’en amuse.
Galerie
D’un côté, une metteure en scène, Chloé Dabert (Iphigénie de Racine du 16 au 19 avril). De l’autre, les sept comédien.ne.s de l’AtelierCité recrutés en juillet 2018.
Ensemble, ils sont le reflet de la jeune génération sur un plateau et doivent imaginer un spectacle.
Après avoir lu plusieurs textes de théâtre contemporain, leur choix s’est arrêté sur Des cadavres qui respirent de Laura Wade. Cette comédie noire a reçu de nombreux prix en Angleterre mais n’a jamais été créée en France. Oscillant entre plusieurs genres, cette pièce nous parle de l’absurdité de la mort qui peut venir frapper à notre porte à tout moment et entraîner des bouleversements inattendus dans nos vies. Des cadavres qui respirent joue sur les sensations et s’apparente à une farce grinçante et déstabilisante où le suspense reste intact et nous tient en haleine jusqu’à la fin.
Des cadavres qui respirent
Dans un texte puzzle, Laura Wade permet au temps de s’écouler progressivement, à contre-courant, sans se soucier d’y noyer son lecteur ou même de l’enterrer. Mais il est certain que ce dernier appréciera d’autant plus l’air qui traverse son être après l’écoute du souffle des morts. Une histoire dans laquelle on découvre les malheurs de Jim, patron d’une entreprise de garde-meubles, qui a des soucis avec une odeur persistante provenant de l’un des containers, et Elaine, sa femme, qui s’ennuie. Kate et son amoureux Ben ; et Cameron, que Kate déteste et bat. La jeune femme est débordée par son job et ne supporte plus la chienne de son jeune amant.
Emma, une jeune femme de chambre, qui rêve de belles voitures et de balades romantiques en belles voitures. Ils sont simples, colériques, désemparés ; et pour tous, une découverte macabre va détourner le cours de leur vie.
C’est Emma qui la première va découvrir un client de l’hôtel qui semble être mort. Cinq scènes, cinq tranches de vie simples ; où ironie, humour et ennui s’entrelacent, mettant à jour les petites et grandes souffrances du quotidien.
Une pièce cruelle et drôle. Des personnages en sursis, qui nous plongent dans leur quotidien banal qui se transforme petit à petit en véritable cauchemar. Les rencontres deviennent des affrontements, les discussions des dialogues de sourds et la mort respire, omniprésente, elle ne montre pas toujours le même visage.
Elle est tour à tour angélique, pitoyable ou cruelle… Avec talent et subtilité, la jeune auteure de Des Cadavres qui respirent, construit une sorte de jeu de pistes au suspens tranchant, imaginé autour du thème de la mort.
Une mort, tantôt ancrée dans une réalité qui nous parait être la nôtre, tantôt un rêve, ou un fantasme. Elle révèle à des personnages coincés dans une banlieue sinistre, les différentes facettes de notre dernier voyage, qu’il soit low cost ou en classe affaires, divin ou insignifiant.
L’auteure brouille les pistes et ne dévoile les faits que progressivement. Le suspens reste intact et nous tient en haleine jusqu’à la fin.
Le titre de la pièce vient d’une réplique d’Antigone de Sophocle, citée en début de texte par l’auteure : « Quand un homme a perdu ce qui faisait sa joie, je tiens qu’il ne vit plus. C’est un cadavre qui respire ».
Laura Wade projette un monde dans lequel les vivants ne sont rien de plus que des morts comme les autres, à la différence qu’ils respirent.
Nicolas Tisserand pour La Mousson d’été
Biographie / Laura Wade
Laura Wade est née en 1977 à Bedford en Angleterre. Après des études de littérature dramatique à l’Université de Bristol, elle intègre le Young Writers Programme du Royal Court Theatre. Sa première pièce, Limbo, est présentée au Sheffield Crucible Studio Theatre en 1996, et 16 Winters à Bristol en 2000. Sa pièce Emma Young inaugure en 2003 le Findborough Theatre, où Laura est par la suite en résidence. En 2004, elle est auteure associée au théâtre de Soho et écrit Colder Than Here Was et Other Hands. Elle reçoit le prix de l’auteure la plus prometteuse par le Critics’ Circle Theatre pour Breathings Corpses (Des Cadavres qui respirent), jouée au Royal Court en 2005, et élue meilleure pièce de l’année 2006.
Entretiens
Blandine Pélissier, traductrice de l’œuvre
Entretien avec Laura Wade, auteure
Comment avez-vous abordé l’écriture de cette pièce ? Quelle en était l’idée première ?
L’idée première est venue très vite, d’un coup. Au cœur de la pièce, il y a, très fort, la lutte pour la joie, le bonheur. J’ai eu l’idée de trois personnages qui deviendraient chacun le cadavre de la scène d’après. C’était non linéaire, dès le départ. Il y a eu très très peu de changements en répétitions, parce que la pièce est construite comme un puzzle, ou un château de cartes. Si on enlève une carte, le château s’écroule. J’ai un peu joué avec l’ordre des scènes au tout début, mais très vite je m’en suis tenue à cette structure. C’est une structure en « nœud papillon », avec la première partie de la pièce dans une couleur, puis, au milieu, le nœud de la scène violente, puis la deuxième partie qui repart sur une autre couleur.
Que vous voulez faire éprouver aux spectateur.rice.s à travers la structure de la pièce ?
J’aime que le public travaille. Et aussi qu’il puisse prendre du plaisir à voir la pièce et à comprendre ce qu’il se passe entre les personnages, même s’il ne comprend pas tout de la structure. Quand la pièce s’est jouée au Royal Court, elle était programmée dans la salle Jerwood, tout en haut. J’avais très envie que le public cherche à comprendre ce qu’il avait vu tout le temps où il redescendait les escaliers et que les gens en parlent entre eux !
Comment avez-vous travaillé le rythme et l’oralité de votre texte ? Pour cela, avez-vous travaillé avec des acteurs pour aboutir à la version finale du texte ?
En fait, cela me vient naturellement, j’entends des voix dans ma tête et je travaille à voix haute quand je suis bloquée, ça m’aide. J’ai travaillé à des tempos légèrement différents pour chaque personnage. La mort et la sexualité ont l’air d’être deux sujets très proches dans toute la pièce. Quelle est votre intention ou idée là-dessus ?
Je voulais travailler sur la coexistence du corps et de l’esprit. Je m’intéressais beaucoup, à l’époque, au processus physique de la mort. C’était quelque chose que je trouvais à la fois répugnant et fascinant, les fluides qui s’échappent des corps morts, comme les fluides qui s’échappent des corps pendant l’acte sexuel. La mort qui termine la vie et l’acte sexuel qui peut donner la vie ont quelque chose de physiquement similaire dans le corps. Je trouve ça fort au niveau philosophique et émotionnel.
« Quand un homme a perdu ce qui faisait sa joie, je tiens qu’il ne vit plus. C’est un cadavre qui respire. » Vous utilisez cette citation d’Antigone de Sophocle en guise d’avant-propos, que vous évoque-t-elle ?
Tous les personnages, d’une certaine façon, se battent pour être heureux.ses dans leur vie. C’est le paradoxe des « cadavres qui respirent » qui m’a intéressé (par définition, un cadavre ne peut pas respirer), parce qu’il coïncide aussi avec le paradoxe de la chronologie de la pièce qui est impossible (comme un ruban de Möbius, NdlT). Quand on n’est pas heureux.se dans sa vie, on peut se sentir comme un cadavre qui respire et qui continue à fonctionner.
Pourquoi écrire pour le théâtre ? Quelles en sont, selon vous, les principales spécificités ?
J’écris pour le théâtre parce que j’aime le théâtre, j’adore aller voir des pièces et j’ai donc envie de contribuer à ça. J’aime beaucoup
aussi l’idée du travail en équipe, de la communauté. Je travaille toujours au plateau avec les metteur.e.s en scène. Quand on écrit un roman, on est plus solitaire. Maintenant, je commence à collaborer avec les metteur.e.s en scène dès le début de l’écriture.
Propos recueillis et traduits par Blandine Pélissier, traductrice de l’œuvre
Entretien avec Chloé Dabert, metteure en scène
Que représente pour vous cet engagement auprès de l’AtelierCité ?
C’est tout d’abord une relation, avec Galin Stoev et Stéphane Gil, qui se tisse désormais plus largement avec cette maison. Je suis contente, flattée même, d’être conviée ici, d’une part avec Iphigénie, d’autre part avec Des cadavres qui respirent, la création sur-mesure que je signe avec l’AtelierCité. Ma présence au sein de cette maison s’inscrit dans un projet plus global de véritable compagnonnage. Il y a ici une volonté d’intégrer l’artiste à la vie de la maison, qu’il soit de passage comme moi ou en permanence comme cette troupe. Je me sens proche de cette philosophie, que j’essaie d’insuffler également à la Comédie de Reims dont je viens de prendre la direction. J’ai très vite ressenti que les sept comédien.ne.s de l’AtelierCité font tous déjà pleinement partie de cette belle maison. C’est très important que les artistes, les équipes et les publics se côtoient ainsi, dans une possible familiarité. En tant que metteure en scène, je ne travaille pas différemment avec les acteur.rice.s de l’AtelierCité qu’avec d’autres interprètes. Certes, ce sont des acteur.rice.s qui ont la particularité d’être jeunes, mais qui que soit celui face à moi, la relation s’invente toujours de manière singulière.
« Le théâtre se transmet et on ne transmet que ce en quoi l’on croit » dites-vous : en quoi croyez-vous ?
Je souhaite amener l’autre au plus proche de lui-même. Je cherche une forme de simplicité, de sincérité, sans douleur, avec douceur. Quelque chose qui soit ni violent, ni intrusif. Je fais du théâtre d’une certaine manière, je l’aime d’une certaine manière et c’est ce théâtre-là que je nomme lorsque je parle de croyance. S’il y a de multiples approches, esthétiques et techniques, ce que je fais et transmets c’est ça, ce théâtre auquel je crois. J’interviens à un endroit particulier : sur une approche de l’interprétation dénuée de présupposés, considérant que tout vient du plateau, sur le travail du rythme et de la musicalité de la langue, sur la dialectique entre le cadre de la fiction et l’incarnation du personnage, entre le réalisme et l’onirisme. J’apporte des outils dont les gens s’emparent et avec lesquels ils font ce qu’ils veulent. C’est pour ça que j’encourage les acteurs à avoir des pédagogues différents, à recevoir des enseignements différents, à élargir leur palette d’outils.
Parlons un peu Des cadavres qui respirent, le texte de Laura Wade que vous créez en juin prochain avec l’AtelierCité. Qu’est-ce qui vous a mené à cette pièce ? Une pièce reconnue en Angleterre – élue meilleure pièce en 2006 et pour laquelle la Britannique a reçu le prix de l’auteure la plus prometteuse par le Critics’ Circle Theatre – mais encore non créée en France je crois.
C’est un vrai coup de cœur collectif, une profonde envie de faire découvrir cette auteure. Souvent, je choisis les textes en rêvant simultanément aux acteur.rice.s que je distribuerai. À mon sens, il doit y avoir une vraie rencontre humaine entre un texte et ses interprètes. Là, ne les connaissant pas, je n’arrivais pas à choisir seule, alors on a choisi ensemble. Je savais qu’ils étaient sept, je connaissais leur parcours, avais leurs photos. J’avais aussi envie de revenir à des dramaturges anglais, après avoir monté
il y a quelques années deux pièces de Dennis Kelly. Il s’agissait aussi de leur transmettre un objet destiné à appartenir à la troupe, un objet qui doit être vu, qui doit vivre. À partir de ces éléments, je suis arrivée avec plein de propositions. On a passé une semaine à lire et puis il y a eu ce texte-ci, dont les personnages collaient bien avec le groupe, dont l’écriture et l’énergie ont tout de suite plu. On a tout de même mesuré les points forts, les points faibles, les défis. On a envie de partager la découverte
stimulante d’une écriture qu’on ne connaît pas encore en France, traduite mais jamais montée en effet, un projet passionnant pour un tel spectacle.
Vous qui travaillez le texte comme une partition musicale, avec précision, d’une manière très rythmique voire mathématique, quel rythme détient ce texte-ci spécifiquement ?
C’est un rythme que j’ai déjà éprouvé et qu’il me plaît de travailler : ça va vite, ça fuse. Je peux ainsi leur apporter quelques éléments techniques à partir desquels on va pouvoir construire. Ce texte est finalement le socle d’une transmission puisqu’il se situe exactement à mon endroit de recherche. La pièce est ensuite délicieusement complexe car il n’y a pas de message clair. Il règne une certaine ambiguïté, un trouble, un suspense. Il est drôle, violent poétique et irrésolu, d’un possible réalisme, il
nous entraîne vers le surnaturel. C’est un texte qui pose question et c’est ce qui fait son intérêt.
Dans les écritures contemporaines auxquelles vous vous êtes attelée, vous semblez avoir un penchant pour les pièces énigmatiques comme Orphelins – Prix Impatience 2014, Festival d’émergences théâtrales à Paris – ou L’Abattage rituel de Gorge Mastromas de Dennis Kelly ou dans un autre registre, J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne de Jean-Luc Lagarce. Comment relevez-vous ces énigmes, véritables défis dramaturgiques, scénographiques ?
Cette pièce-ci comporte effectivement des énigmes scénographiques et dramaturgiques à résoudre, c’est excitant. J’aime travailler sur les défis de mise en espace et d’incarnation. Le texte forme une boucle, il y a une sorte de circularité : j’ai l’impression que si c’est trop réaliste, ça ne fonctionnera pas. Un autre élément important est que le spectacle est destiné à tourner en décentralisation, la scénographie doit être légère et rapide à monter. Si je n’ai pas encore de réponses sur la manière dont nous
allons relever ces défis, les contraintes du texte associées aux contraintes techniques posent un cadre à l’intérieur duquel on va inventer.
Propos recueillis par Mélanie Jouen, janvier 2019
Vidéo
[ E X T R A I T ]
EMMA : Merde. Désolée. Désolée.
Elle regarde un moment vers le lit, comme si le
cadavre avait dit quelque chose.
Non, ça va.
Emma se frotte les yeux et sourit faiblement.
C’est juste que… vous êtes mort et que je
vais peut-être me faire virer, alors…
C’est pas… c’est pas génial, hein ?
Ça la fait rire.
Voilà que je vous parle.
Elle fronce les sourcils, regarde autour d’elle.
C’est nouveau, ça.
Elle soupire et se tourne vers le cadavre.
Comment vous vous appelez, Monsieur
L’homme ?
Elle regarde le lit et fait comme si le cadavre lui
avait répondu.
Je vais descendre leur dire dans une minute.
Ils vont croire que je blague, cette fois.
Un temps. Emma aperçoit une enveloppe en
évidence sur la coiffeuse.
Oh, vous avez fait une lettre. C’est gentil.
Emma saisit l’enveloppe.
Vous avez l’air… Je suis sûre que vous
étiez sympa. Je suis sûre que vous étiez
très… très gentil. Pas quelqu’un à qui
j’aurais adressé la parole peut-être. Mais
vous avez l’air vraiment sympa. Vous êtes
pas mon genre, non, vous êtes un peu
vieux pour moi.
Des cadavres qui respirent
Scène 1