Othello
Représentations
Distribution
Production déléguée Cie Italienne avec Orchestre
Coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe ; Le Quai – CDN Angers pays de la Loire ; Comédie de Béthune – CDN Hauts-de-France ; Théâtre de l’Archipel – Scène nationale de Perpignan ; Châteauvallon-Liberté – Scène nationale de Toulon ; Théâtre national de Nice – CDN Nice Côte d’Azur ; Théâtre national populaire – Villeurbanne ; Le Bateau Feu – Scène nationale de Dunkerque ; L’Azimut – Antony / Châtenay-Malabry ; Les Quinconces et L’Espal – Scène nationale du Mans ; La Comédie – CDN de Saint-Étienne ; ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie ; La Coursive – Scène nationale de La Rochelle ; Théâtre de Caen
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
La compagnie Italienne avec Orchestre est aidée par le ministère de la Culture / Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île-de-France, au titre de l’aide aux compagnies
Remerciements à Théâtre 71 ; scène nationale de Malakoff ; Atelier de Paris ; centre de développement chorégraphique national ; T2G Théâtre de Gennevilliers ; Centre Dramatique National
Création du spectacle de la Cie Italienne avec Orchestre le 15 novembre 2022 au Quai – CDN Angers Pays de la Loire
Informations
La Salle
Durée 3h30 (dont 20 minutes d’entracte)
1ère partie 1h50, entracte 20mn, 2ème partie 1h10
Résumé
Othello, le général des armées vénitiennes, Maure converti, a épousé Desdemone, une jeune aristocrate séduite par les exploits de ce héros quasi homérique. Il a promu Cassio au détriment de Iago, un soldat plus expérimenté qui veut se venger. Avec l’aide de Rodrigo, amoureux éconduit de Desdemone, Iago va se révéler un stratège machiavélique, impitoyable et sanguinaire… Personne ne sera épargné par une conscience nouvelle et douloureuse de la complexité et de la fragilité humaine. Shakespeare observe les conflits intimes ou collectifs pour la jouissance des territoires, des biens ou des personnes, avec une lucidité et une générosité qui le rendent intemporel, c’est-à-dire moderne pour l’éternité.
Journal
Imaginez-vous quelques instants…Vous êtes en 1559 en Angleterre. Le pays connaît une période de prospérité en parallèle d’une crise religieuse. C’est un moment charnière où l’on redécouvre la Grèce antique et où l’on remet en question Dieu et la place de l’être humain dans l’univers. C’est dans ce contexte, le 15 janvier 1559, qu’a lieu le couronnement d’Élisabeth Ière d’Angleterre, qui donnera son nom au théâtre de cette époque habituellement daté entre 1576 et 1642 (date de fermeture des théâtres imposée par les puritains). Quelques années plus tard – comme si son couronnement appelait la naissance de grands artistes – en 1564, seront baptisés deux immenses auteurs représentatifs de cette période : Christopher Marlowe (le 26 février) et William Shakespeare (le 26 avril) qui seront représentés sur la scène duThéâtredelaCité prochainement avec Le feu, la fumée, le soufre de Bruno Geslin ; Un Hamlet de moins de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano ; et Othello de Jean-François Sivadier.
Galerie
Othello : une pièce à part dans l’œuvre de Shakespeare qui, pour la première fois (et la dernière), tente une expérience inédite : débarrasser son théâtre de tout ce qui en fait habituellement « l’architecture ».
Ici, les personnages ne sont mus par rien d’autre que le scénario que l’un d’entre eux écrit dans sa tête. Pas de guerre de territoires, pas de couronne à se disputer. Shakespeare nous mène en bateau en nous faisant croire, à l’acte I, à une pièce de guerre, avec un héros censé défendre les intérêts de Venise contre les Turcs. La guerre n’aura pas lieu, le héros n’est vainqueur de rien et l’auteur enferme tout son petit monde sur une île où il n’y a plus rien à faire que manger, boire, surveiller les remparts et faire l’amour… ou se haïr viscéralement.
Une seule intrigue, simple, une ligne claire, rapide, directe, un texte « sans double fond » et une action qui se concentre uniquement sur la violence des rapports humains. Shakespeare épure le trait jusqu’à dire : c’est juste l’histoire d’un homme qui, sans raison essentielle, va en détruire un autre. Le projet de Iago est presque gratuit, construit sur sa haine, sa jalousie.
Othello est considérée volontiers comme une « tragédie domestique ». C’est surtout une guerre froide, angoissante jusqu’à l’asphyxie dans le « huis clos » d’une pièce sur le langage où un seul mot, une idée (Iago : « Ha je n’aime pas cela ! ») peut entrer dans un corps et le détruire de l’intérieur. Soudain le corps d’Othello, pourtant cuirassé par de multiples batailles, se met à parler (crise d’épilepsie, gifle à Desdémone) quand la raison, elle, se met à bégayer — à l’instar de Coriolan, autre héros archétypique perdu dans un monde cynique, qui dit : « me voilà en train de bégayer comme un acteur stupide sur la scène ».
Si comme le dit Iago « nos corps sont des jardins dont nos volontés sont les jardiniers », Shakespeare s’arrange toujours pour que les jardiniers sabotent le travail et laissent croître les herbes folles jusqu’au basculement du monde vers la crise d’identité, la folie et le bain de sang. Une idée majeure dans la bouche du lieutenant Cassio qui avoue « … J’ai perdu la part immortelle de moi-même et ce qui reste est bestial (…) dire qu’avec joie plaisir et satisfaction nous pouvons nous transformer en bêtes… ». Or au théâtre la part immortelle est le rôle, le reste, c’est l’acteur…
À Iago, figure du Vice archaïque, s’attache toute une tradition comique : l’ennemi est banal, invisible ou plutôt, à ce point central qu’il en devient insoupçonnable. Tout le monde aime Iago ; il déteste tout le monde. Il répand sa noirceur, allume des feux partout jusqu’à l’incendie général. On ne reconnaît plus l’autre, on ne se reconnaît plus soi-même.
Pièce cruelle où Shakespeare s’amuse et nous amuse. Si la pièce n’est pas jouée de façon drôle, elle perd en cruauté et inversement. Une histoire d’autant plus terrible qu’elle est souvent risible. Où chaque acteur peut jouir du « ridicule possible de sa marionnette ». Shakespeare n’alterne pas les scènes sérieuses avec les scènes de comédie. Il insinue la comédie au sein même de la « tragédie ». Othello, comme tous, humains trop humains, grandioses ou complètement idiots. Grâce à une extraordinaire poétique de la porosité entre les genres, ravivant des métaphores éculées et des dictons antiques, Shakespeare fait naître une contiguïté insolite entre des émotions contraires.
Un film d’horreur : sept personnes, comme « une famille recomposée », arrive sur une île (où « tout va bien »). Deux jours (deux heures) plus tard : 4 morts et un condamné à mort… Sept acteurs. Tous directement ou non, responsables du bain de sang final (si Emilia n’avait pas volé le mouchoir, Desdémone ne serait pas morte…). Où chacun par son texte ou son comportement dépose sur le plateau les braises sur lesquelles va souffler Iago pour tout embraser.
Chypre. Un théâtre. La lande du Roi Lear, le château d’Elseneur, la forêt du Songe d’une nuit d’été, et celle de Comme il vous plaira. Le lieu (vide ou labyrinthique) où l’auteur rassemble, enferme, perd ses personnages comme des rats de laboratoire pour les confondre dans une expérience où ils vont rencontrer leur véritable nature. Chypre : enfermés dehors.
Difficile de saisir totalement le sens de ses pièces : des énigmes. Sans mode d’emploi. Shakespeare montre le pour et le contre sans prendre parti, sans dire, lui, ce qu’il pense. Mais tous les sujets qui traversent ses pièces de manière plus ou moins explicite (ici, entre autres, la circulation du désir, la jalousie, l’appétit de destruction, le racisme, la perversité…), il les attrape, comme toujours, « avec le théâtre ». Shakespeare sait qu’il (ne) fait (que) du théâtre et la question du théâtre (celui que se font les êtres humains) est toujours au centre de sa dramaturgie. Il écrit pour être joué (non pas lu), dans un certain contexte, devant un certain public qui a des désirs et des exigences, qui n’ont pas tant changé que ça : la jouissance, l’impensable, la comédie, le spectacle…Exigences entretenues et excitées par une dramaturgie du hasard, de l’interruption, de l’improvisation. Pas de destin : jusqu’à la dernière seconde rien ne dit que Desdémone va effectivement mourir.
« La tragédie n’est ni une certaine forme de théâtre, ni une façon particulière de voir les choses ; le monde est déjà tragique, et les œuvres tragiques existent parce que la tragédie est. » écrit Michaël Edwards. Shakespeare semble explorer cette interprétation à la fois de la tragédie et de la vie, pour lui-même, afin de voir jusqu’où elle peut mener, en laissant toujours le spectateur entièrement libre.
Jean-François Sivadier, notes, septembre 2022