La Haye
Représentations
Distribution
Production
Théâtre national Ivan Vazov, Sofia – Bulgarie
Création le 19 septembre 2023 au Théâtre national Ivan Vazov, Sofia – Bulgarie
Informations
Réservation obligatoire
Participation libre (gratuit / 10€ / 20€) : la totalité de la recette sera reversée aux associations Ukraine libre et Yaroslavna qui œuvrent entre autres pour l’accueil des réfugié·e·s ukrainien·ne·s à Toulouse et au soutien humanitaire en Ukraine
Durée 2h10
La Salle
Spectacle en bulgare, surtitré en français ainsi qu’en ukrainien
Conseillé à partir de 14 ans
Le spectacle La Haye de Sasha Denisova, mise en scène Galin Stoev a reçu le Prix ICARE :
– du meilleur spectacle
– de la meilleure scénographie / Boris Dalchev
– des meilleurs costumes / Kancho Kasabov
Téléchargements
Résumé
La pièce La Haye de l’autrice ukrainienne Sasha Denisova est une « fantasmagorie » grotesque, drôle et sinistre basée sur des faits et des personnages réels liés à la guerre russe en Ukraine. Le texte mêle des éléments réels de la réalité politique et idéologique de la Fédération de Russie avec des fragments d’histoires documentaires de guerre et de tragédies familiales pour créer un récit non linéaire qui construit une image de la guerre à travers le monde émotionnel d’une petite fille. Écrit peu de temps après le début de l’agression militaire, sa première représentation a eu lieu en février 2023 en Pologne. Sasha Denisova l’a ensuite mis en scène en juin 2023 au Théâtre Arlekin Players de Boston, aux États-Unis.
« Ce texte est une rencontre impossible entre Shakespeare et les Monty Python. Une sorte de version du (futur) procès contre Poutine et son entourage au tribunal de La Haye pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité se déroule sous nos yeux, prenant place dans la tête d’une enfant. Un enfant qui sera le principal accusateur. En ce sens, La Haye est une fantaisie théâtrale, à la fois comique et effrayante. C’est la première fois que je travaille sur un projet théâtral qui a un lien aussi direct et précis avec notre réalité immédiate. J’explore la possibilité d’une coexistence harmonieuse ou, au contraire, paradoxale entre politique et poésie, documentaire et musique, mythe et actualité. Cela donne lieu à des vertiges émotionnels et intellectuels et forme un champ de réflexion de nature purement artistique. Sur ce terrain de jeu, les fragments de « normalité » que nous avons perdus à cause de la guerre entrent en interaction directe les uns avec les autres. Cela construit une sorte de labyrinthe permettant au public d’explorer les limites de sa compréhension personnelle du bien et du mal. Tout comme un enfant, contraint par les circonstances, à devenir adulte ».
Galin Stoev
Journal
ÉVÉNEMENT À TOULOUSE
Le procès de Poutine post guerre en Ukraine. Une pièce subversive, aussi audacieuse qu’ironique.
Le procès de Poutine post guerre en Ukraine. Une pièce subversive, aussi audacieuse qu’ironique.
Note de Galin Stoev
Cette année, je suis rentré en Bulgarie, mon pays natal, pour créer le spectacle La Haye de Sasha Denisova, une autrice ukrainienne. Elle a terminé l’écriture de ce texte au début de l’année 2023 et quand je l’ai découvert, je me suis dit qu’il fallait absolument le présenter en Bulgarie, un pays où la propagande russe marche encore au point de diviser la société.
À la création du spectacle à Sofia, j’ai pu voir comment le théâtre peut produire des mouvements tectoniques dans la manière de penser ou de sentir le monde. Au-delà des questions artistiques, ce travail agit sur des questions sociétales qui dépassent largement notre petit univers théâtral.
Dans un état de fatigue généralisée par rapport à cette guerre, je pense que le théâtre peut créer des expériences et des moments de vie qui peuvent surprendre ou bouleverser, et que ce spectacle se place exactement à cet endroit. J’ai pu voir en Bulgarie l’impact que ce travail a sur différentes strates de la société, y compris politiques, sociétales, culturelles et même idéologiques, comme un antidote à la propagande.
Galin Stoev, 7 octobre 2023
Photos
Note dramaturgique
La pièce La Haye de l’autrice ukrainienne Sasha Denisova a été écrite juste après le début de l’agression militaire russe contre l’Ukraine. Elle a écrit le texte en février 2023 en Pologne avant de le mettre en scène en juin aux États-Unis. La mise en scène de Galin Stoev ouvre la saison 2023-24 du Théâtre national Ivan Vazov de Sofia (Bulgarie). La pièce est une hilarante et sinistre fantasmagorie qui mêle des faits et personnages réels et fictionnels liés à la guerre en Ukraine. Cela mélange des éléments de la réalité politique et idéologique de la Fédération de Russie, des matériaux documentaires et des déclarations des membres de l’élite politique de Russie, des faits de guerre, des histoires personnelles et des tragédies humaines.
L’intrigue raconte la guerre qu’une jeune fille décrit dans son journal intime et dans lequel elle met en scène un procès imaginaire à La Haye contre les crimes de guerre des dirigeants russes. Le public devient en quelque sorte les jurés auxquels la petite fille « fait appel » pour leur jugement et sensibilité, dans son désir de rétablir la justice. Un acte dont le monde des adultes a besoin. À travers le jeu, innocemment mais fermement, l’enfant remet l’idée du bien et du mal à leur juste place. L’absurdité de l’anti-utopie que ces « héros de notre temps » vivent, devient douloureusement palpable. Un rêve grotesque se déploie sur scène à la fois tragique et sinistre, oscillant entre sacralisation du diabolique et profanation honteuse. Une cosmologie complète avec ses dieux, ses croyances, ses valeurs et ses pratiques qui bouleverse le monde. À travers le prisme grossissant du théâtre, la pièce nous donne une chance de réellement le voir et de le rendre meilleur.
Mira Todorova, dramaturge du spectacle
L’art est un de ces domaines purs qui devraient appuyer sur le bouton d’urgence pour dire aux gens que la folie occupe de très grands territoires et que la société civile doit réagir.
Galin Stoev
Entretien
Une conversation entre Mira Todorova, dramaturge, et Galin Stoev, metteur en scène
Mira : Vous avez travaillé à l’étranger pendant de nombreuses années, principalement en France, où vous dirigez un théâtre. Pourquoi avez-vous décidé de retourner en Bulgarie et de travailler sur ce texte en particulier ?
Galin : Le fait que je travaille à l’étranger ne m’empêche pas de rester en contact avec mes collègues en Bulgarie et de m’intéresser à tout ce qui se passe ici. Pendant longtemps, j’ai été stupéfait par la réaction d’une partie de la société et de certains politiciens haut placés face à ce qui se passe à l’échelle mondiale. La colère et l’impuissance que ressent toute personne normale face à une guerre ignoble ont rapidement été relativisées pour laisser la place à une propagande trompeuse et un goût viscéral pour les théories du complot. Dans la société, il ne semble pas y avoir de consensus sur les notions fondamentales du bien et du mal. Avec La Haye, je voulais chercher pourquoi il en était ainsi et trouver si les morceaux de cette réalité distordue pouvaient être assemblés en un spectacle qui canaliserait l’énergie sociale et psychique de la société. Et plus que tout, qui susciterait l’empathie.
Mira : C’est la première fois que vous mettez en scène un texte aussi « contemporain », qui se déroule et se transforme littéralement au fur et à mesure de l’actualité, reflétant des événements réels en cours. Quel est l’enjeu d’une telle immédiateté et d’un travail entre la fiction et le documentaire ?
Galin : Le moment historique est extraordinaire et il s’avère que le théâtre peut s’en emparer et même l’alchimiser. Les événements actuels et les ressources documentaires constituent la structure de ce texte, mais sur scène, cela prend des dimensions presque mythologiques. De nos jours, nous vivons dans un monde dans lequel certaines choses peuvent être expliquées seulement à travers le mythe, car confrontées à notre logique quotidienne, elles semblent être totalement dépourvues de sens. Le texte utilise principalement des matériaux documentaires, mais incarne quelque chose comme Alice au pays des enfers. C’est aussi une sorte d’exorcisme, mais dont le genre n’est pas tout à fait éloigné de la comédie. Nous ne faisons pas du théâtre documentaire, mais plutôt une forme de théâtre-exorcisme.
Mira : Quels enjeux voulez-vous mettre en lumière et comment donnez-vous du sens à quelque chose d’aussi douloureux et insensé ?
Galin : Nous ne travaillons pas quotidiennement avec l’actualité, la souffrance ou le non-sens de cette guerre, nous travaillons principalement avec nos ressentis, ou du moins j’aimerais qu’il en soit ainsi. Svetlana Alexievitch1 dit dans un de ses livres que la guerre est une expérience profondément intime. Nous la regardons depuis un écran, presque en temps réels, et au lieu de trembler à l’idée que cela va nous atteindre, nous devrions plutôt œuvrer de toute notre âme et conscience pour faire en sorte que cela ne vienne à l’esprit de personne de déclencher une atrocité pareille. L’art devrait être un moyen à part entière pour contrer les pensées qui mènent à la guerre. Autrement dit, quand la déshumanisation et la guerre sont banalisées, quelqu’un doit appuyer sur le bouton d’urgence. Nous amenons au plateau des documents et rendons l’invisible tangible, voire même sensible. C’est ce que fait le théâtre. Shakespeare lui-même l’a décrit dans les dernières lignes de Puck (Le Songe d’une nuit d’été). Nous le faisons tous au théâtre. C’est juste que dans le cas de La Haye, il n’y a pas de fées ou d’elfes, mais une enfant et notre nostalgie d’un monde dont les débris sont à présent en train de flotter sur le courant torrentiel du Styx (fleuve des Enfers) que nous regardons en nous demandant comment nous pouvons vivre avec. Par ailleurs, tous les points de vue sont représentés dans la pièce, comme il est à la mode de le dire de nos jours. Cependant, ces points de vue sont déconstruits et éclairés sous un angle inattendu. Et c’est là que le jeu théâtral commence. Cette pièce fait appel à la capacité d’analyse du spectateur et non à sa crédulité aveugle.
1. Personnalité littéraire et journaliste russophone soviétique puis biélorusse. Elle a reçu en 2015 le prix Nobel de littérature pour « son œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque ».
Mira : Comme le dit un des personnages de la pièce, « personne n’a encore interdit la guerre ». Le paradoxe, en ce sens, est que quelque chose d’aussi inhumain et inacceptable s’avère faire partie intégrante de la civilisation humaine, peu importe la culture, l’éducation, les technologies ou tout autre progrès… « Comment dealez-vous avec tout cela ? »
Galin : La guerre a fait partie du développement de notre civilisation. Cela continue de consumer lentement notre réalité. Le fait est que même l’humanité évolue. Les concepts utilisés jusque-là pour ouvertement justifier la violence semble aujourd’hui non seulement cruels mais également inadéquats. Vous ne pouvez pas utiliser des structurations de pensées archaïques d’il y a 300 ans pour donner du sens aujourd’hui, c’est impossible ! Et si vous le faites, vous ne pouvez pas prétendre vous comporter en adéquation avec les temps modernes. Et c’est exactement ce que fait la Fédération de Russie. Aujourd’hui, c’est devenu quelque chose comme l’Empire du mal des sagas cinématographiques. Comme dans la mythologie ou dans Star Wars. Nous regardons la guerre en ligne, comme nous regardions Game of Thrones. Sauf que l’une, bien que violente tel un combat de gladiateurs, n’en reste pas moins une fiction, tandis que l’autre est une téléréalité brutale d’une qualité idéologique particulièrement faible. C’est l’élément qui est difficile à contourner, mais c’est là que l’humour vient à la rescousse. Aristophane a écrit tellement de comédies politiques sur les guerres, mais il est difficile pour nous de les comprendre aujourd’hui car nous ne connaissons pas leur contexte politique. Mon travail sur ce texte, sur cette réalité et sur ce sujet est peut-être ma tentative de « dealer avec tout cela ».
L’ampleur tragique du spectacle est impressionnante. Galin a fait sortir Shakespeare de moi. Je suis stupéfaite par ses directions de mise en scène. Je pensais connaître le texte, mais au lieu de cela, j’ai pleuré. Les Ukrainiens pleureraient aussi.
Sasha Denisova
Extraits presse
Le Théâtre national [Ivan Vazov, Sofia – Bulgarie] ouvre sa saison avec une émouvante performance sur la guerre en Ukraine. Avec la mise en scène de Galin Stoev, basée sur la toute nouvelle pièce La Haye (2023) de l’autrice ukrainienne Sasha Denisova, le Théâtre national lance sa nouvelle saison. Les premières représentations, bondées jusqu’au second balcon, ont fait se lever le public et les acteurs ont fait de nombreux rappels. Il fallait s’attendre à ce qu’un spectacle présenté sur la première scène du pays, touchant directement du doigt la blessure de la guerre en Ukraine, entraîne une réponse conséquente et, en effet, il y avait longtemps que je n’avais pas vu une telle effervescence autour de la première d’un spectacle.
Assen Terziev, Capital.bg
La Haye est beaucoup de choses. Un plateau qui a atteint la perfection, une mise en scène qui frôle le génie, des mots maîtrisés à la perfection, des acteurs sur le fil avec de brillantes métamorphoses, des images qui capturent l’invisible, une guerre dans laquelle les vérités sont déformées, une soif pour la normalité qui a toujours conduit l’humanité à être civilisée plutôt que barbare, un passé qui a, s’il n’est pas vécu, toujours rattrapé son retard… Mais La Haye est aussi un silence hurlant de manière assourdissante les questions qu’il pose.
Nina Alexandrova, Kmeta.bg
La Haye est formidable. Un jeu d’acteur admirable. Des choix scénographiques et visuels merveilleux. Un texte fascinant, intelligent, audacieux et parfois très drôle. Une mise en scène exceptionnelle… J’étais une spectatrice qui a retenu son souffle tout le temps où les acteurs étaient sur scène. La pièce est géniale ! L’autrice Sasha Denisova était là. Bravo à cette femme courageuse. Bravo à ce metteur en scène courageux. Bravo à ce théâtre qui a osé programmer cette pièce ! Une immense salve d’applaudissements pour les acteurs du Théâtre national qui ont respiré à l’unisson et ont délivré cette première pièce politique dans la nouvelle histoire du théâtre bulgare !
Irina Gigova, segabg.com
La Haye de Sasha Denisova, dans la mise en scène de Galin Stoev, au Théâtre Ivan Vazov [Sofia – Bulgarie] prouve que le théâtre peut à la fois être criant de vérité sur l’époque dans laquelle nous vivons et, en même temps, être une œuvre d’art de haute qualité, qu’il peut nous immerger dans l’épicentre d’événements mondiaux qui résonnent avec une puissance terrible et nous touche tous, que nous ayons le courage de les regarder en face ou que nous nous cachions la tête dans le sable comme si cela ne nous affectait pas… C’est une mise en scène où l’ensemble de ses créateurs, de l’autrice et de l’équipe de production aux interprètes, tous sont profondément et personnellement impliqués. Cela saute aux yeux à la fois dans l’énergie créatrice qu’ils ont apporté à l’élaboration et réalisation de la pièce, mais aussi dans la manière dont le public réagit avec émerveillement et empathie pendant et après la représentation… Les défis esthétiques à relever sont liés à la complexité du genre et à l’envie de dépasser les habitudes du public, qui d’ordinaire regarde une intrigue cohérente avec des personnages de fiction interprétés comme des personnes réelles. Dans notre cas, nous avons exactement le contraire – un récit fragmenté, un montage parallèle d’images sombres de la réalité et d’événements sinistres, avec des personnages d’une salle d’audience imaginaire sont en réalité des personnes réelles, et même des personnalités publiques de renommée mondiale, qui commencent à être perçues comme des figures fictives universelles inhumaines, dépourvues d’âme, et immorales. Galin Stoev relève non seulement ces défis avec succès, mais crée également une mise en scène mémorable qui marque un tournant dans notre compréhension par la scène dramatique du théâtre politique.
Nikolay Yordanov, въпреки.com
Biographie
Sasha Denisova est une dramaturge et metteuse en scène ukrainienne. Elle est diplômée de la Faculté de philologie* de l’Université nationale Taras Shevchenko de Kiev. Elle a enseigné la mise en scène au Centre théâtral Meyerhold, donné des conférences à l’École de théâtre d’art de Moscou et dirigé un studio d’écriture et de théâtre documentaire – Studio-OFF. En 2010, après avoir complété sa formation en théâtre documentaire au Royal Court Theatre au Royaume-Uni, Sasha Denisova a créé une compagnie d’artistes partageant les mêmes idées qu’elle, avec qui elle pratique des formes de théâtre expérimental. Elle a fui la Russie au début de la guerre et vit maintenant en Pologne, où elle a écrit et produit plusieurs pièces documentaires, dont La Haye.
* Philologie : Étude d’une langue, fondée sur l’analyse critique de textes écrits dans cette langue.