ANTOINE ET CLÉOPÂTRE
Deux prénoms liés par un « et », ce « et » qui fait un lien direct vers le couple Taylor/Burton que le cinéma a immortalisé dans ces deux rôles-là, tout de passion et de fureur. Shakespeare est bien sûr au scénario d’une histoire qui a tout, depuis 400 ans, pour embraser les planches : la pièce évoque la crise de la république romaine en une œuvre historique et politique fleuve qui puise de bout en bout son moteur et son souffle dans la tragédie amoureuse. Le chaos prendra le pas sur les rêves de paix et les amants du Nil finiront mal, comme les histoires d’amour en général. À la mise en scène, Célie Pauthe, dans la continuité de son précédent Bérénice, choisit elle aussi de voir grand : la pièce est montée dans sa totalité, cinq actes courant sur dix années de guerres fratricides, retraçant l’impossible rêve qui unit cette Égypte fière et féminine au désir fou d’Antoine le Romain. Un rêve partagé, allumé par la passion et l’érotisme, mais également un rêve d’union politique qui aurait pu redessiner autrement les contours du monde moderne. Ce couple impossible repose inlassablement les questions toujours actuelles des relations entre Orient et Occident.
AMER M. ET COLETTE B.
Plus discrets sont les héros du diptyque construit par Joséphine Serre, qui écrit le texte et met en scène deux versants d’une histoire commencée pour la scène en 2015 par Amer M. et prolongée aujourd’hui par Colette B. Le premier personnage est né après que la metteuse en scène ait trouvé dans sa boîte aux lettres le portefeuille d’un homme, algérien d’origine kabyle, arrivé en France au début de la guerre d’Algérie. À partir des documents rangés là – pièce d’identité, notice de médicaments, factures – elle déplie en quelque sorte un pan de l’histoire de cet homme, dans une première partie. Puis d’autres éléments voisins, soigneusement conservés – une carte de visite et quelques mots affectueux écrits par une femme, Colette B., pianiste à Radio France – lui donnent envie d’imaginer la relation entre cette femme et Amer M.
En postulant que Colette est d’origine pied-noir, elle pose en miroir l’un de l’autre ces deux chapitres consacrés aux protagonistes. Ils reflètent ce qui a pu être une histoire d’amour empêchée, reflétant en abyme ce qu’ont pu devenir depuis cinquante ans les relations de la France et de l’Algérie. Images et films d’archives d’époque relaient l’imaginaire et on prend tout de cette histoire moitié réelle, moitié fictive. Comme Antoine et Cléopâtre, Amer et Colette nous mettent sous les yeux des questions bien actuelles qui ne seront peut-être jamais complètement réglées.