Quelque chose en nous de féministeThéâtredelaCité

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Quelque chose en nous de féministe

On pourrait toutes et tous, d’emblée, s’interroger à nouveau sur le sens du mot, mais ce serait devoir faire un trop long retour, ici, sur des siècles de luttes, débats, manifs et victoires (tout de même) menés par les femmes pour dénoncer les inégalités qui les entravent et les violences qui leur sont faites. Féministes nous le sommes, encore et toujours, résolument, par conviction et par nécessité. Féministes vous dev(ri)ez l’être, ostensiblement, solidairement, en toutes occasions, vous, nos déclarés-alliés, les hommes. Jusqu’à ce qu’en tout nous soyons – tranquillement et toute colère bue – vos égales. Alors, à défaut de redéfinir encore une fois le terme et de perdre un temps précieux à redessiner les contours d’une liberté qu’on veut au contraire de droit, inaliénable et sans limites, penchons-nous sur ce que le théâtre s’engage à faire entendre de cette voix des femmes.

L É G I T I M E S 

Les missions d’intérêt public d’un CDN comme le ThéâtredelaCité incluent de refléter le monde et ses questionnements. La programmation se fait donc naturellement l’écho des débats qui agitent la société civile, la question des rapports entre les sexes, que ce soit au travail, dans la sphère domestique, le couple, mais aussi des questions de genres, de sexualités, celle du pouvoir aux femmes, des maternités décomplexées ou des masculinités à réinventer. Les écritures contemporaines représentées mettent en miroir les interrogations de jeunes autrices et auteurs et celles des spectatrices et spectateurs que nous sommes. Ce trimestre, trois spectacles proposent des trajectoires et des portraits de femmes. Dans leurs parcours, dans leurs histoires de vie réelles ou fictionnelles, leurs postures, la force de leurs paroles, elles incarnent des figures 

et des exemples clés de la condition féminine à travers l’époque récente depuis les années 1960. Sororité, solidarité, humour et créativité : Marie Rémond et Caroline Arrouas font revivre la féminité combattive et toujours inspirante de Delphine (Seyrig) et Carole (Rossopoulos) célèbres insoumuses seventies. La Femme Crocodile de Joy Sorman mise en scène par Mériam Korichi et interprétée par Valérie Crouzet met en perspective l’émancipation des femmes et les droits des animaux. Quant à la jeune Catarina, l’héroïne de Tiago Rodrigues, elle se dresse en Antigone moderne et refuse de perpétuer la tradition (paradoxalement émancipatoire) qui lui incomberait de rentrer dans le rituel familial pour avoir le droit d’être tranquille. Questionner sa place qu’on soit homme ou femme, déconstruire les attendus qui nous sont imposés, les stéréotypes intégrés et poser les bases de nouvelles façons de vivre ensemble, le théâtre aujourd’hui ne peut pas passer à côté de ce qui traverse profondément l’art, la littérature, la sociologie et la pensée contemporaine. 

N É C E S S A I R E S 

Il ne s’agit pas pour autant de poser l’équation « propos féministes = projets que l’on ne peut pas remettre en question », le travail principal des artistes étant justement de réintroduire de la subjectivité et de la contradiction, et non de dérouler un boulevard de bien-pensance unilatérale. Il y a donc dans ces trois spectacles très différents de quoi nourrir les débats, les interprétations, l’ambiguïté des ressentis. Deux d’entre eux sont écrits et mis en scène par des femmes (NB : seulement 33% des spectacles actuels présentés en France sont l’oeuvre de femmes). La Catarina de Tiago Rodrigues, en ne reproduisant pas le modèle familial, construit sa propre histoire. Le metteur en scène l’inscrit via son prénom en filiation de Catarina Eufémia, jeune ouvrière agricole tuée au cours d’une grève de femmes au Portugal et devenue un symbole de résistance contre le régime de Salazar. Le spectacle offre une partition pluridisciplinaire à un beau plateau d’acteur∙rice∙s. Le texte de La Femme Crocodile adapté d’un écrit de Joy Sorman, Présentée vivante, navigue lui, entre les thèmes de prédilection de son autrice (les rapports entre l’animalité et l’humain) et les préoccupations de sa metteuse en scène, engagée de longue date à promouvoir le travail artistique des femmes au travers du collectif Amazones Princesas. Performatif, cabarettique et tout terrain puisque Valérie Crouzet interprète La Femme Crocodile indifféremment dans des musées, galeries, etc. Quant au théâtre militant, joyeux et pédagogique à l’oeuvre dans Delphine et Carole, il donne envie de s’interroger sur ce que nous avons fait, autant les hommes que les femmes, de notre histoire depuis les années 70. Recueil spontané et automotivé de la parole des femmes, les vidéos tournées par Delphine Seyrig et Carole Rossopoulos avec l’une des premières caméras portatives de l’époque, sont une mine à valeur d’archive. Le documentaire d’origine qui leur était consacré sert ici de matériau support de réflexion et fait naître un spectacle qui met en parallèle les parcours de toutes ces femmes, y compris bien sûr les deux comédiennes en scène. Tout au long du trimestre donc la parole est aux femmes. Certaines voix sont d’hier, d’autres d’aujourd’hui, mais toutes de pleine actualité (preuve qu’il faut sans cesse continuer à combattre ce que Tiago Rodrigues appelle « l’autoritarisme patriarcal systémique » et déconstruire le sexisme niché dans toutes ces petites choses quotidiennes qui semblent pourtant aller de soi). Salutaire et jouissif. 

 
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