Richard IIIThéâtredelaCité

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Richard III

Une version décapante et décapée de la pièce de Shakespeare

Le ThéâtredelaCité est heureux de vous inviter en novembre à la naissance du mal, à la métamorphose de Richard, duc de Gloucester, au couronnement de Richard III, dernier roi anglais de la famille d’York. Aucune tenue particulière n’est exigée, venez avec une bonne dose d’humour noir, les âmes sensibles peuvent se faire accompagner…

La guerre est terminée. Ou du moins est-ce ce qu’espèrent les Anglais∙e∙s au cœur de la sanglante Guerre des Deux-Roses, au retour triomphal d’Edouard IV. Tous, sauf un, Richard, duc de Gloucester, frère du roi. Né avant terme, difforme, peu aguerri aux exercices de la cour en paix, il s’ennuie. Que faire ? Se fixer une nouvelle ambition, un nouveau « projet de vie » face auquel rien ne résistera : devenir roi. Pourtant, les obstacles sont nombreux ; ses neveux, son autre frère sont sur son chemin, plus directement liés au trône… Qu’importe : il nous le dit d’entrée, à nous spectateur∙rice∙s, il se fera le chantre de la scélératesse, l’emblème de la monstruosité. Pourquoi monter une nouvelle fois Richard III de Shakespeare ? Une évidence à l’heure actuelle pour Guillaume Séverac-Schmitz et pas seulement parce qu’il a mis en scène il y a peu
Richard II. Conquérir le pouvoir en usant de tous les moyens, l’argent, la violence, la démagogie. Séduire avec perfidie, sans remords, ourdir à l’envi, avec délectation. N’est-ce pas le spectacle qu’offre notre société ?

© Erik Damiano

Un spectacle monstrueusement contemporain

Et ce miroir (déformant, bien sûr !) que nous tend Guillaume Séverac-Schmitz renvoie une image échevelée de la tragédie de Shakespeare ; celui qui deviendra Richard III en est certes le coeur, mais c’est l’énergie qui émane de toute cette troupe qui happe le∙la spectateur∙rice et l’entraîne dans ce voyage au centre de la monstruosité. Et il est important de parler de troupe, puisqu’autour de Thibault Perrenoud, qui campe un Richard quasi omniprésent, ce sont huit comédiennes et comédiens qui endossent tous les autres rôles, passant même parfois de personnages masculins à féminins, de victimes à bourreaux. La nouvelle traduction de Clément Camar-Mercier, écrite pour cette mise en scène et ces interprètes, mais aussi pensée pour notre époque, participe à cette actualisation en modernisant le rapport au public, déjà omniprésent chez Shakespeare. Toute cette dynamique en fait un spectacle foisonnant, un véritable son et lumière, soutenu par une scénographie évolutive, un plateau mouvant, véritable reflet des méandres de l’intelligence torturée de notre monstre shakespearien : nous sommes ici confronté∙ e∙s, ou pire, associé∙e∙s à sa démesure.

Car le public est personnage : Guillaume Séverac-Schmitz le convoque, forcément. Sans lui, le monstre n’existerait pas. C’est un monstre sacré, un monstre de scène qui se nourrit des émotions des spectateur∙rice∙s. Pourquoi se donner tant de mal à faire si bien le mal si personne n’en est témoin ? Ou mieux encore, si personne ne se fait complice en admirant l’oeuvre d’un tel artiste, même si c’est un artiste infernal ? D’ailleurs, vous serez peut-être invité∙e∙s à la cérémonie du couronnement : sans public, à quoi bon un trône ? Plus de séparation entre la scène et la salle, alors, de quel côté se trouve le monstre ?

© Erik Damiano

Un spectacle foisonnant, un véritable son et lumière, soutenu par une scénographie évolutive, un plateau mouvant, véritable reflet des méandres de l’intelligence torturée de notre monstre shakespearien : nous sommes ici confronté∙e∙s, ou pire, associé∙e∙s à sa démesure. 

Mais le couronnement ne signe pas la fin de la pièce. Car chez Shakespeare, on ne naît pas monstre, on le devient. Et nous suivons la métamorphose, la sortie de chrysalide du duc de Gloucester en Richard III, puis en celui qui sera acculé à offrir son royaume pour un cheval, ultime réplique, l’avènement d’un mythe. Car la couronne n’est plus un graal, elle reste un objet de convoitise pour les autres, tous les autres, et maintenant qu’il la possède, Richard est obnubilé par sa perte. Il ira jusqu’à l’impensable, à l’ultime tabou, la mise à mort de ses neveux, des enfants. 

Une figure fascinante qui se trouve aux origines mêmes du théâtre. 

Shakespeare voulait un théâtre empli de « blood and gore », du sang frais ou séché, mais du sang. Et c’est ce que Guillaume Séverac-Schmitz offre aux spectateur∙rice∙s. Il renoue ainsi avec le théâtre élisabéthain, destiné à un vaste public regroupant toutes les catégories sociales, prompt à huer un spectacle qui perdrait en intensité. Aussi les péripéties s’enchaînent-elles à un rythme endiablé, le public est entraîné dans cette spirale jusque dans l’oeil du cyclone, au coeur du monstre. Du moins, s’il en a un… Une figure fascinante, qui se trouve aux origines mêmes du théâtre : en témoignent les héros des tragédies antiques, prêts à assassiner pères et mères, quand ils ne vont pas jusqu’à faire manger leurs jeunes victimes par ceux qui les ont enfantées. Et nous nous repaissons également de ces crimes hors normes, assouvissant par procuration nos pulsions violentes ; l’antique catharsis est toujours d’actualité. Et pas seulement dans les tragédies : Guillaume Séverac-Schmitz a monté en 2020 Le Tartuffe avec la troupe éphémère de l’AtelierCité, n’est-ce pas là aussi l’histoire d’un monstre qui, une fois la porte de la famille franchie, complote et manipule pour la mener à sa perte, avec habileté et talent ? Car ce héros au délicieux nom d’un dessert italien est lui aussi un comédien, il joue son rôle, ou plutôt ses rôles en fonction des publics auxquels il s’adresse. Richard a la même aisance, la même capacité à se métamorphoser, tantôt stratège, séducteur, souvent cabotin, mais toujours avec la complicité du public.

Car Richard, comme Tartuffe, parvient à nous faire rire. Il joue son rôle de méchant avec tant d’application que nous finissons par le suivre, voire le précéder. Il semble parfois conscient de jouer son propre rôle et conserve comme une distanciation avec son personnage, une brèche (Brecht ?) dans laquelle nous nous immisçons pour parfois, malgré nous, nous identifier au monstre. Et nous en frissonnons d’effroi ! C’est pourquoi Richard doit mourir, contrairement au héros de bande dessinée qui a l’éternité pour toujours échouer dans sa quête. Le dernier roi de la famille des York, celui dont la difformité physique, dans la mise en scène de Guillaume Séverac-Schmitz, s’accentue au fil de ses exactions, atteint enfin la quintessence de la monstruosité. Il gagne ce statut presque divin, invité dès la veille de sa mort par les fantômes de ses victimes. Le Richard III de papier efface au passage son homologue de chair et de sang, il entre au panthéon des personnages de théâtre mythiques, ceux qui peuvent être recréés à l’infini, ceux qui n’en finiront jamais de se livrer au public, ces monstres qui nous ressemblent tant…

© Erik Damiano
 
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