Wajdi Mouawad m’a proposé de chanter la chanson Al Atlal d’Oum Kalthoum dans un spectacle. J’ai écouté la chanson et je me suis d’abord dit que je n’y arriverais jamais : de l’arabe, une chanteuse à l’ancienne, les quarts de ton… Puis je me suis rendu compte que je connaissais cette chanson, et par elle la mémoire de mes parents, juifs tunisiens, m’est revenue. Au fur et à mesure, je sentais que je découvrais un secret, celui de ma mère qui la fredonnait dans notre jardin. En comprenant les strophes je pouvais imaginer ce que ma mère faisait dans le jardin, comment elle vivait, alors que je n’avais jamais compris à l’âge de huit ou neuf ans pourquoi elle restait des après-midis entiers à préparer son café, à parler en arabe, à lire en s’allongeant dans l’herbe en regardant le ciel et en fredonnant cette chanson. Je ne comprenais pas alors pourquoi on ne vivait pas comme les autres. Je n’avais pas idée de ce qu’était ce temps en suspens qui est celui de l’exil : ma mère ne vivait pas au présent, en France.
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