LE FIRMAMENTThéâtredelaCité

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LE FIRMAMENT

Accusée, levez-vous !

Que peut-il bien y avoir de commun entre un spectacle de théâtre réunissant seize personnes au plateau et une bonne série Netflix dont l’action se situe dans l’Angleterre du XVIIe siècle ? Entre un film de procès au suspense tendu par des joutes verbales intenses comme le 7e art en a produit de célèbres (on pense à Douze hommes en colère) et une pièce aux dialogues très actuels ciselés par une autrice militante féministe d’aujourd’hui ? Le Firmament, écrit par Lucy Kirkwood et mis en scène par Chloé Dabert, directrice de la Comédie, CDN de Reims, est un projet de femmes qui fait entendre les voix d’autres femmes. Il porte évidemment aussi une analyse sociale transverse qui s’adresse à toutes et tous : reconnue coupable du meurtre d’une fillette issue de la famille la plus riche de la ville, une jeune domestique va devoir répondre de ses actes. Sauf qu’elle aura la vie sauve, la peine capitale pouvant être commuée en exil, si elle peut prouver au jury que, comme elle le prétend, elle est enceinte… Tou doum !

UN SPECTACLE À DÉVORER
COMME UN BON POLAR

Posons le décor : mars 1759 en pleine campagne anglaise, sombre, humide et brumeuse. Alors que la Grande-Bretagne scrute le ciel pour tenter de voir passer la comète de Halley, Sally Poppy, 21 ans, va être pendue pour meurtre. Son amant, complice, a été exécuté le matin. Alors qu’il lui reste quelques heures à vivre, elle affirme qu’elle est enceinte – elle « plaide le ventre » selon l’expression de l’époque – ce qui stoppe net l’exécution de la sentence (un bébé ne peut pas être jugé coupable du crime de sa mère) en attendant que le doute soit levé. Les tests de grossesse n’ont pas été inventés, le mobile du crime reste encore inconnu, mais le teaser est posé : la pièce peut commencer. Rencontre avec la metteuse en
scène.

Cela parle de nos sociétés contemporaines,
de la question de la justice sociale, du déterminisme
de classe et de la condition des femmes, mais pas de façon

revendicative ni frontale.

Le cinéma apparaît sous la forme de petits films à des moments-clés du spectacle, notamment en ouverture. Pourquoi projeter des images filmiques au cœur même de la scénographie ?
Chloé Dabert : Cette pièce est un format très différent de ce que je fais d’habitude. Beaucoup plus imposant que mes précédents spectacles. On a, d’une part, un très grand plateau, une distribution importante et, d’autre part, une écriture toute en finesse, pleine d’indications et de didascalies données par l’autrice. Lucy Kirkwood est très présente dans son texte, elle nous dit très précisément ce que font les interprètes. Il fallait pouvoir prendre en charge toutes ces informations et jouer des différentes focales, des différents champs, du panoramique au gros plan. Et puis, c’est un théâtre en costumes, qu’on a traité avec une lumière, une esthétique très picturales. L’action nous fait passer d’un tableau à un autre, d’une époque à une autre, et l’image permettait cette fluidité. On a voulu un traitement cinématographique, narratif de l’image.

Comment avez-vous découvert Lucy Kirkwood ?
J’ai monté dès mes débuts, en 2012-13, un texte de Dennis Kelly, un dramaturge et scénariste anglais dont j’ai créé plusieurs pièces depuis et dont Lucy Kirkwood, très connue en Angleterre, dit qu’elle s’est inspirée quand elle a commencé elle-même à écrire pour le théâtre. Je trouve tout simplement
que ce théâtre britannique est très bien écrit, avec du fond, des idées, des convictions, de l’humour. Ce sont des écritures dramatiques précises, très « écrites », qui empruntent autant aux ressorts du théâtre qu’aux découpages scénaristiques et qui racontent surtout très bien les histoires. Je défends beaucoup ce pouvoir de la fiction. Cela parle de nos sociétés contemporaines, de la question de la justice sociale, du déterminisme de classe et de la condition des femmes, mais pas de façon revendicative ni frontale. C’est un théâtre qui pose des questions plutôt que d’apporter des réponses toutes faites ou de nous donner des leçons et qui laisse de la place au spectateur pour réfléchir.

Le spectacle est construit comme une fresque historique qui relie hier à nos jours en un huis clos palpitant où alternent les révélations.

La pièce part d’un fait divers posé dans un contexte lointain et paraît néanmoins très actuelle dans sa forme et ses préoccupations… Oui, je travaille vraiment en restant sur le texte et il est très riche. Les discussions qu’ont ces femmes, chargées de juger une autre femme, sont toutes représentatives d’une conception, d’un vécu social et elles nous donnent à imaginer leur quotidien à l’époque en faisant bien sûr la comparaison avec ce qui a changé ou pas aujourd’hui. Le spectacle est construit comme une fresque historique qui relie hier à nos jours en un huis clos palpitant où alternent les révélations, les brefs retournements de situation et les délibérations argumentées des jurées, propices au traitement des sujets de fond. Lucy Kirkwood a glissé dans les dialogues, très vivants, des anachronismes qui nous permettent vraiment de nous projeter. Il faut dire aussi qu’on a travaillé ce texte en étant très nombreuses autour de la table, une douzaine de femmes de 20 à 60 ans, chacune avec sa propre lecture et son parcours de vie, ça fait déjà beaucoup de références implicites. Cette histoire est donc racontée avec ce qu’on est toutes, sans avoir besoin d’en rajouter dans le militantisme. L’idée, c’est de proposer un spectacle qui alimente le débat jusqu’au coup de théâtre final.

Focus sur l’autrice
LUCY KIRKWOOD

Lucy Kirkwood fait partie d’un collectif appelé Clean break qui a été fondé par et pour des femmes en prison et qui utilise
l’outil théâtre pour faire entendre leur voix sur des questions de justice sociale notamment et pour les aider à se réapproprier leur histoire et à sortir des déterminismes. Elle
est dramaturge, mais également scénariste pour la télévision.

© Victor Tonelli
 
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