Ivanov en monde d’aprèsThéâtredelaCité

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Ivanov en monde d’après

DOSSIER : IVANOFF (ENTRETIENS)

Avec la trame de la pièce de Tchekhov et l’écriture de Fredrik Brattberg, célèbre auteur norvégien, Galin Stoev plonge Ivanov, le « Hamlet russe », dans un futur où l’on pourrait vite basculer. Explications avec Galin Stoev

Que représente Ivanov pour vous ?
Le théâtre de Tchekhov constitue un rituel, c’est l’épreuve du feu pour les jeunes comédien·ne·s. À cet âge, on s’identifie à des personnages comme Nina ou Treplev. Mais en vieillissant, les textes de Tchekhov ont continué de m’émouvoir. Pour moi, cet auteur est un médecin qui dissèque l’être humain, dans sa beauté et sa laideur, et parle en même temps de l’état général du monde. Le personnage d’Ivanov, plus particulièrement, est perçu comme le « Hamlet russe » pour moi. Un personnage pris dans ce qu’on appelle aujourd’hui dépression, incapable d’agir malgré sa grande lucidité, incapable de se relier au monde extérieur.

Pourquoi avez-vous passé commande d’une réécriture à Fredrik Brattberg ?

Au départ, je voulais travailler sur le texte originel. Puis, j’ai compris qu’il y avait des dimensions du texte que je voulais plus particulièrement développer, d’autres que je voulais effacer. J’avais rencontré Fredrik Brattberg à la Colline par la mise en lecture d’un de ses textes, Retours. Et j’avais lu d’autres de ses textes ensuite. Je cherchais un complice, quelqu’un avec qui échanger sur le texte et créer une forme qui vienne du futur plutôt que du passé.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons passé un grand nombre d’heures à parler sur Skype. On a commencé pendant le confinement alors que le monde entier était mis à l’arrêt, avec comme point de départ l’état de ce personnage qui fait écho à l’état du monde actuel. Puis, j’ai partagé à Fredrik mon amour pour Tchekhov qui révèle nos faiblesses au grand jour avec tant de bienveillance. On a aussi parlé de la dimension comique chez Tchekhov qui n’est jamais facile à appréhender. On s’est demandé comment raconter cette histoire dans une époque contemporaine. Et Fredrik m’a parlé de sa manière d’écrire, avec des thèmes récurrents et des fantaisies, de ses textes qui sont comme des partitions musicales. Son style aussi très dépouillé, avec des situations très simples. Chez Tchekhov, les personnages s’épanchent beaucoup, tandis que Brattberg pratique la logique de l’haiku et te dit tout et rien à la fois.

Au final, quelles sont les grandes caractéristiques
de cet IvanOff ?

Quand j’ai reçu le texte, je n’ai pas saisi tout de suite. J’ai commencé à le comprendre grâce à la première session de répétition de trois semaines avec les interprètes au printemps 2021. Fredrik écrit en créant des sortes de cartes géographiques de l’état physique et émotionnel de chacun des personnages. Son texte est une cartographie où figurent des points à relier. Et c’est au metteur en scène et aux comédien·ne·s de constituer ces liens. Le texte de Tchekhov et celui de Brattberg sont assez éloignés, mais tout ce qui est de l’ordre de la vacuité chez Brattberg pourrait être nourri de ce que Tchekhov avait écrit dans son texte. Là où Tchekhov est dans le réalisme, Brattberg crée des mondes parallèles, à la David Lynch ou à la Lewis Carroll, tout en respectant de près le texte source.

Entre un passé qui ne peut plus donner de sens au présent et un futur impossible à imaginer

Quel résumé peut-on en faire ?
IvanOff raconte presque la même histoire qu’Ivanov, mais avec de nouveaux éléments. Un virus circule dans le monde entier. Les gens cherchent à s’en protéger, sauf Ivanov. Pas par courage ou par désintérêt, mais comme s’il avait absorbé par erreur tout le désespoir du monde. Il est dans un état de détresse et de lucidité qui parfois deviennent la source même du comique. Les autres essayent de vivre comme avant, mais chaque modèle de comportement devient sa caricature. Il se tient entre un passé qui ne peut plus donner de sens au présent et un futur impossible à imaginer. Et, c’est là où l’écriture de Brattberg produit de l’absurde en mêlant le drame au comique. Ivanov va contaminer tout le monde. Le monde autour de lui pourrait se remettre à exister s’il prenait ses responsabilités, mais il ne peut pas et ouvre ainsi un véritable gouffre existentiel.

On plonge, dites-vous, dans l’espace mental du
personnage ?

L’espace scénographique sera découpé en deux parties. Un grand espace blanc et des portes au travers desquelles on peut apercevoir ce qu’on pourrait imaginer être le décor réaliste de la pièce de Tchekhov, avec son papier peint, sa malle, son samovar. Ivanov reste tout le temps dans cet espace blanc. Comme s’il avait été rejeté de celui où l’on peut faire communauté. Comme s’il n’arrivait plus à trouver un espace où vivre. Mais également comme si on entrait dans les méandres de son esprit. C’est la même intrigue que celle de Tchekhov, avec ses histoires de dettes et d’amour, mais elle est déconstruite pour devenir un voyage personnalisé à travers la manière dont Ivanov perçoit ce monde. Un univers dystopique dont on expérimente certainement les prémices aujourd’hui.

Pouvoir rire de nos moments de détresse profonde

Vous utiliserez également la vidéo ?
La vidéo sur un plateau m’intéresse quand elle contribue à étirer le sens dramaturgique. Ici, elle servira à filmer les
comédien.ne.s pour des scènes cachées dans l’espace tchekhovien, mais également à projeter une réalité fantasmagorique où l’on mélange ds comédiens avec leurs avatars numériques pour découvrir l’esprit d’Ivanov comme un miroir de nos peurs. La force essentielle que Tchekhov nous transmet réside selon moi, dans notre capacité à pouvoir sourire de nos moments de détresse profonde.

 
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