La nuit se lèveThéâtredelaCité

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La nuit se lève

La nécessité du dire

Toujours la même interrogation entêtante : comment raconter au théâtre la fabrique du secret, ce qui est presque indicible dans la vraie vie ? Comment affronter la question du tabou social, comment écrire, montrer, mettre en œuvre, interpréter ce qui s’évertue depuis si longtemps à se dérober, à se taire, à se nier aux yeux de tou∙te∙s ?
Avec La nuit se lève, Mélissa Zehner et Les Palpitantes relèvent le gant, portées par l’élan d’une génération qui croit ferme dans le pouvoir réparateur du dire et par une envie d’agir, y compris sur les planches.

En 2017, avec le mouvement #MeToo, un flot de paroles s’est déversé comme une douche froide sur les consciences endormies : enfin, quelque chose s’est passé dans l’histoire longue et tragique des violences faites aux femmes, quelque chose de libérateur dont on retrouve l’intensité et la détermination, six ans plus tard, dans La nuit se lève de Mélissa Zehner. Mélissa (comme les autres comédiennes de sa compagnie) a grandi dans les années 1990. Aujourd’hui, devenue artiste de scène, sa première création place l’inceste comme sujet central, avec sa mécanique bien huilée, ses victimes en quête de résilience, et tout autour, tournant à plein régime, la fabrique du silence sur laquelle elle désire plus que tout braquer les projecteurs.

© Aude Lemarchand

L’ÉCRITURE ET LA MUSIQUE

« Mon écriture est polymorphe, mouvante, sautant d’un registre à l’autre, au plus proche des états traversés par mes personnages. » La langue ici catastrophée emprunte là le flow du rap pour remonter aux sources de la mémoire. Ici, les mots, par leur maladresse, leur difficulté à sortir, racontent les rapports de domination ; mais, partagés dans une scène de catharsis collective intitulée « le rêve » (dans laquelle les victimes s’imaginent tuer leur agresseur), les voilà ludiques, lâchés en liberté, gorgés d’imaginaire, voire performatifs, dans un joli moment de puissance retrouvée. Tout aussi libre et polyfonctionnelle que la partition textuelle, la musique « très présente dans cette pièce » adoucit les mœurs ou, au contraire, part en renfort de l’interprétation afin d’exprimer avec la plus grande empathie possible la vérité d’une douleur.

LE CHOIX DE LA FICTION

« La fiction est à la fois une mise à distance et une liberté qui permet d’explorer la thématique dans tous ses recoins. » Mais une fiction au plus près du réel, qu’un long travail d’enquête sur le terrain a nourrie pendant des mois (notamment auprès d’une association d’aide aux victimes), complété par des heures de documentation (livres, podcasts) pour multiplier les approches – sensible, scientifique, sociologique – sur un sujet qui ne peut souffrir aucune simplification. « J’ai raconté cette histoire d’abord pour toutes ces femmes rencontrées. J’ai besoin qu’elles s’y reconnaissent, qu’elles y retrouvent leur singularité, leur vérité, et en même temps qu’elles y puisent du réconfort. » En résumé, cinq femmes se sont rencontrées dans un centre de soutien. Ensemble, elles illustrent tous les cheminements possibles dans cette histoire commune : « Chacune a sa problématique à résoudre, réparer une amnésie traumatique pour en faire une mémoire biographique, éviter la destruction de la cellule familiale, aller jusqu’au procès. Par exemple, la reconstruction de Lola passe par le témoignage devant la justice, mais pour sa sœur, victime également, il faut d’abord épargner la mère… Aucune parole n’est plus légitime que l’autre. »

© Aude Lemarchand

LES COMÉDIENNES

Elles sont le vrai moteur de la mise en scène : Maud Gripon, Sara Charrier, Vinora Epp, Laure Barida (qui a repris le rôle de Malou Rivoallan également compositrice dans La nuit se lève) et Mélissa elle-même : « La forte présence des filles, leur humour, leur joie m’ont accompagnée à chaque étape de la création, elles ont contribué à alimenter l’écriture à la table qui s’est modifiée avec le passage au plateau. De toute façon, j’aime le théâtre qui, quelle que soit la difficulté du sujet évoqué, fait primer l’énergie des comédien∙ne∙s sur la machinerie théâtrale. » Une bien jolie métaphore, ma foi, d’un théâtre en lutte, au cœur duquel l’humanité attaquée ou résiliente prend toute la lumière.

© Aude Lemarchand
 
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