Sur les 16 pièces de ce printemps, 14 relèvent d’écritures dramatiques contemporaines : peut-on y voir l’une des lignes artistiques de votre programmation ?
STÉPHANE GIL – Très clairement, oui. Accompagner les écritures contemporaines, faire confiance aux auteur∙rice∙s vivant∙e∙s, faire la part belle à ce qui se dit aujourd’hui et à la façon dont cela se dit est au cœur de notre projet pour le ThéâtredelaCité, et ce depuis notre candidature en 2017. La relation aux auteur∙rice∙s est évidente pour nous, d’autant plus que Galin lui-même travaille depuis vingt ans avec Ivan Viripaev, un auteur de sa génération : sa propre expérience d’artiste induit nécessairement ce qu’il a envie de défendre.
GALIN STOEV – Cette rencontre avec Ivan a en effet profondément changé mon rapport au théâtre. Je viens d’une éducation théâtrale classique qui n’a pas éveillé en moi d’intérêt immédiat pour les textes contemporains. Alors quand tout à coup, en 2000, je tombe sur ces textes qui résonnent avec tout ce que je porte, cette matière à travers laquelle je peux exprimer tout ce qui m’importe et qui me fait évoluer dans une direction inattendue, je suis moi-même surpris. C’était comme si nous avions une connaissance a priori l’un de l’autre, un lien sans détour, quelque chose de viscéral. Et cela s’est très vite exprimé dans la confiance mutuelle qui nous a immédiatement unis. Notre collaboration a ensuite nourri nos pratiques respectives : son écriture m’a permis de comprendre ce que je cherchais dans le médium théâtral et lorsqu’il a vu mes mises en scène, il a mieux compris son travail d’écrivain. Je mets aussi en scène Marivaux mais ce n’est pas du tout le même rapport. Finalement, s’il s’agit de traiter les auteur∙rice∙s classiques comme s’ils∙elles écrivaient pour ici et maintenant, je dirais que j’essaie de travailler avec les textes d’Ivan en renversant cela et en les montant comme de grands textes classiques.
Ainsi, soutenir les écritures dramatiques contemporaines, c’est aussi permettre des rencontres fécondes avec des metteur∙se∙s en scène et des équipes artistiques ?
S.G. — En tant que Centre Dramatique National, notre travail est de créer les bonnes conditions pour les rencontres, donner l’envie de faire avec, instaurer un rapport de confiance. C’est aussi envisager l’écosystème de la création dans son ensemble, être l’interlocuteur d’ARTCENA ou de la Maison Antoine Vitez qui travaillent directement avec les auteur∙rice∙s. C’est ensuite observer et rencontrer sans cesse de nouveaux∙elles artistes. Mais sans que cela soit une multiplication d’opportunités : c’est une colonne vertébrale. C’est rencontrer des personnes avec qui on a de la joie à travailler, c’est sentir les connexions et mettre au jour des constellations d’artistes, relié∙e∙s par des fils invisibles que l’on découvre au gré des invitations et des collaborations.
G.S. — On repère des énergies que l’on essaie d’articuler à travers nos choix et qui dessinent un mini paysage théâtral pour le public toulousain. Pour autant, il ne faut pas non plus céder à la tentation de vouloir trop structurer le chaos. On est là pour se mettre au service de choses qui ne sont pas complètement conscientes d’elles-mêmes comme processus : il s’agit donc avant tout d’entretenir un état d’éveil constant et de ne pas rater quelque chose d’important. Et aussi d’admettre que l’on peut se tromper… Mais si en tant que service public on ne prend pas ce risque, personne ne le fera.
Un risque qui peut alors être partagé par les spectateur∙rice∙s : quelle place leur proposez-vous par ce choix de programmation et à quelles expériences théâtrales les invitez-vous ?
G.S. — Si les spectateur∙rice∙s prennent en effet parfois le risque d’être déçu∙e∙s ou dérangé∙e∙s, ils∙elles peuvent aussi avoir la chance d’assister à la naissance d’une perle et être parmi les premier∙ère∙s à voir se manifester quelque chose d’inédit. Nous voulons les inciter à développer ce goût de la découverte, les accompagner et créer des ouvertures pour qu’ils∙elles viennent d’eux∙elles-mêmes chercher le risque. Et vivre ensemble des expériences vivantes ici et maintenant. Je le vis moi-même : j’ai du mal à choisir des artistes qui font du théâtre comme moi, qui le comprennent comme je le comprends. J’aime ce qui m’intrigue, ce qui fait que je me confronte à des univers de théâtre qui gardent un mystère pour moi.
S.G. — Aller à la rencontre d’une écriture contemporaine peut parfois être plus complexe, voire plus inconfortable, car plus intime, mais cela permet souvent une connexion plus puissante entre le∙la spectateur∙rice et le plateau, avec une émotion qui circule dans les deux sens. Par ailleurs, si Shakespeare avait tant de succès à son époque, c’est qu’il racontait la réalité que vivaient ses spectateur∙rice∙s. Nous avons besoin d’auteur∙rice∙s qui nous racontent le monde dans lequel on vit. Les spectacles que nous choisissons parlent de notre monde. D’un passé pas entièrement assumé, encore à interroger, d’un présent que l’on vit, d’un futur que l’on questionne. Nous souhaitons que chaque spectateur∙rice se sente concerné∙e, mobilisé∙e et soit impacté∙e par ce qu’il∙elle entend.